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a pas un instant radical où la religion ait commencé à exister et il ne s’agit pas de trouver un biais qui nous permette de nous y transporter par la pensée. Comme toute institution humaine, la religion ne commence nulle part. Aussi toutes les spéculations de ce genre sont-elles justement discréditées ; elles ne peuvent consister qu’en constructions subjectives et arbitraires qui ne comportent de contrôle d’aucune sorte. Tout autre est le problème que nous nous posons. Ce que nous voudrions, c’est trouver un moyen de discerner les causes, toujours présentes, dont dépendent les formes les plus essentielles de la pensée et de la pratique religieuse. Or, pour les raisons qui viennent d’être exposées, ces causes sont d’autant plus facilement observables que les sociétés où on les observe sont moins compliquées. Voilà pourquoi nous cherchons à nous rapprocher des origines[1]. Ce n’est pas que nous entendions prêter aux religions inférieures des vertus particulières. Elles sont, au contraire, rudimentaires et grossières ; il ne saurait donc être question d’en faire des sortes de modèles que les religions ultérieures n’auraient eu qu’à reproduire. Mais leur grossièreté même les rend instructives ; car elles se trouvent constituer ainsi des expériences commodes où les faits et leurs relations sont plus faciles à apercevoir. Le physicien, pour découvrir les lois des phénomènes qu’il étudie, cherche à simplifier ces derniers, à les débarrasser de leurs caractères secondaires. Pour ce qui concerne les institutions, la nature fait spontanément des simplifications du même genre au début de l’histoire. Nous voulons seulement les mettre à profit. Et sans doute, nous ne pourrons atteindre par cette méthode que des

  1. On voit que nous donnons à ce mot d’origines, comme au mot de primitif, un sens tout relatif. Nous entendons par là non un commencement absolu, mais l’état social le plus simple qui soit actuellement connu, celui au-delà duquel il ne nous est pas présentement possible de remonter. Quand nous parlerons des origines, des débuts de l’histoire ou de la pensée religieuse, c’est dans ce sens que ces expressions devront être entendues.