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Une autre survivance du même genre est celle qui concerne le totem maternel. Il y a de fortes raisons de croire que, à l’origine, le totem se transmettait en ligne utérine. Là donc où la filiation en ligne paternelle est entrée en usage, ce ne fut très probablement qu’après une longue période durant laquelle le principe opposé avait été appliqué : par suite, l’enfant avait alors le totem de sa mère et était soumis à tous les interdits qui y étaient attachés. Or, dans certaines tribus, où pourtant l’enfant hérite aujourd’hui du totem paternel, il survit quelque chose des interdictions qui protégeaient primitivement le totem de la mère : on ne peut pas en manger librement[1]. Il n’y a plus rien pourtant, dans l’état présent des choses, qui corresponde à cette prohibition.

À l’interdiction de manger s’ajoute souvent celle de tuer ou, si le totem est une plante, de cueillir[2]. Cependant, ici encore, il y a bien des exceptions et des tolérances. Il y a notamment le cas de nécessité, quand, par exemple, le totem est un animal nuisible[3] ou qu’on n’a rien à manger. Il

  1. C’est le cas chez les Loritja (Strehlow, II, p. 60, 6l), les Worgaia, les Warramunga, les Walpari, les Mara, les Anula, les Binbinga (North. Tr., p. 166, 171, 173). On peut en manger chez les Warramunga, les Walpari, mais seulement si l’offre en est faite par un membre de l’autre phratrie. Spencer et Gillen font remarquer (p. 167, n.) que, sous ce rapport, le totem paternel et le totem maternel sont soumis à une réglementation qui paraît différente. Sans doute, dans l’un et l’autre cas, l’offre doit venir de l’autre phratrie. Mais, quand il s’agit du totem du père ou totem proprement dit, cette phratrie est celle à laquelle le totem ne ressortit pas ; c’est le contraire, quand il s’agit du totem de la mère. C’est, sans doute, que le principe fut d’abord établi pour le premier, puis étendu mécaniquement au second, bien que la situation fût différente. Une fois qu’eût été instituée la règle en vertu de laquelle on ne pouvait passer outre à l’interdiction qui protège le totem que quand la proposition en était faite par quelqu’un de l’autre phratrie, on l’appliqua sans modifications au cas du totem maternel.
  2. Par exemple, chez les Warramunga (North. Tr., p. 166), chez les Wotjobaluk, les Buandik, les Kurnai (Howitt, p. 146-147), les Narrinyeri (Taplin, Narrinyeri, p. 63).
  3. Et encore n’est-ce pas dans tous les cas. L’Arunta du totem des Moustiques ne doit pas tuer cet insecte, même quand il en est incommodé ; il doit se borner à le chasser (Strehlow, II, p. 58. Cf. Taplin, p. 63).