Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tout ce qui vient d’être dit du totem dans les sociétés australiennes s’applique aux tribus indiennes de l’Amérique du Nord. Toute la différence est que, chez ces dernières, l’organisation totémique a une fermeté de contours et une stabilité qui lui font défaut en Australie. Les clans australiens ne sont pas simplement très nombreux ; ils sont, pour une même tribu, en nombre presque illimité. Les observateurs en citent quelques-uns à titre d’exemples, mais sans réussir jamais à nous en donner une liste complète. C’est qu’à aucun moment cette liste n’est définitivement arrêtée. Le même processus de segmentation qui a démembré primitivement la phratrie et qui a donné naissance aux clans proprement dits, se continue sans terme à l’intérieur de ces derniers ; par suite de cet émiettement progressif, un clan n’a souvent qu’un effectif des plus réduits[1]. En Amérique, au contraire, le système totémique a des formes mieux définies. Bien que les tribus y soient, en moyenne, sensiblement plus volumineuses qu’en Australie, les clans y sont moins nombreux. Une même tribu en compte rarement plus d’une dizaine[2], et souvent moins ; chacun d’eux constitue donc un groupement beaucoup plus important. Mais surtout le nombre en est mieux déterminé : on sait combien il y en a et on nous le dit[3].

Cette différence tient à la supériorité de la technique sociale. Les groupes sociaux, dès le moment où ces tribus ont été observées pour la première fois, étaient fortement

  1. Une tribu de quelques centaines de têtes compte parfois jusqu’à 50 ou 60 clans et même beaucoup plus. Voir sur ce point Durkheim et Mauss, De quelques formes primitives de classification, in Année sociologique, t. VI, p. 28 n. 1.
  2. Sauf chez les Indiens Pueblo du Sud-Ouest où ils sont plus nombreux. V. Hodge, Pueblo Indian Clans, in American Anlhropologist, lre série, t. IX, p. 345 et suiv. On peut se demander toutefois si les groupes qui portent ces totems sont des clans ou des sous-clans.
  3. V. les tableaux dressés par Morgan dans Ancient Society, p. 153-185.