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classes par phratrie, au lieu de deux, le système est plus complexe, mais le principe est le même. Ces quatre classes, en effet, forment deux couples de deux classes chacun, et ces deux classes alternent l’une avec l’autre, à chaque génération, de la manière qui vient d’être indiquée. 2° Les membres d’une classe ne peuvent, en principe[1], contracter mariage que dans une seule des classes de l’autre phratrie. Les Ippai doivent se marier dans la classe Kubbi ; les Murri, dans la classe Kumbe. C’est parce que cette organisation affecte profondément des rapports matrimoniaux que nous donnons à ces groupements le nom de classes matrimoniales.

Or, on s’est demandé si ces classes n’avaient pas parfois des totems comme les phratries et comme les clans.

Ce qui a posé la question, c’est que, dans certaines tribus du Queensland, chaque classe matrimoniale est soumise à des interdictions alimentaires qui lui sont spéciales. Les individus qui la composent doivent s’abstenir de la chair de certains animaux que les autres classes peuvent librement consommer[2]. Ces animaux ne seraient-ils pas des totems ?

Mais l’interdiction alimentaire n’est pas le signe caractéristique du totémisme. Le totem est, d’abord et avant tout, un nom, et comme nous le verrons, un emblème. Or, dans les sociétés dont il vient d’être question, il n’existe pas de classe matrimoniale qui porte un nom d’animal ou de plante ou qui se serve d’un emblème[3]. Il est pos-

  1. V. Roth, Ethnological Studies among the North- West-Central Queensland Aborigines, p. 56 et suiv. ; Palmer, Notes on some Australian Tribes, J.A.I., XIII (1884), p. 302 et suiv.
  2. Ce principe ne s’est pas maintenu partout avec une égale rigueur. Dans les tribus du centre à huit classes, notamment, outre la classe avec laquelle le mariage est régulièrement permis, il en est une autre avec laquelle on a une sorte de connubium secondaire (Spencer et Gillen, North. Tr., p. 106). Il en est de même dans certaines tribus à quatre classes. Chaque classe a le choix entre les deux classes de l’autre phratrie. C’est le cas des Kahi (v. Mathew, in Curr, III, p. 1762).
  3. On cite cependant quelques tribus où des classes matrimoniales porteraient des noms d’animaux ou de plantes : c’est le cas des Kabi (Mathew, Two Representative Tribes, p. 150), des tribus observées par Mrs Bates (The Marriage Laws a. Cusioms. of the W. Austral. Aborigines, in Victorian Geographical Journal, XXIII-XXIV, p. 47) et peut-être de deux tribus observées par Palmer. Mais ces faits sont très rares, leur signification mal établie. D’ailleurs, il n’est pas surprenant que les classes, aussi bien que les groupes sexuels, aient parfois adopté des noms d’animaux. Cette extension exceptionnelle des dénominations totémiques ne modifie en rien notre conception du totémisme.