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famille, c’est ce qu’ils se reconnaissent les uns envers les autres des devoirs identiques à ceux qui, de tout temps, ont incombé aux parents : devoirs d’assistance, de vendetta, de deuil, obligation de ne pas se marier entre eux, etc.

Mais, par ce premier caractère, le clan ne se distingue pas de la gens romaine et du γένος grec ; car la parenté des gentils, elle aussi, venait exclusivement de ce que tous les membres de la gens portaient le même nom[1], le nomen gentilicium. Et sans doute, en un sens, la gens est un clan ; mais c’est une variété du genre qui ne doit pas être confondue avec le clan australien[2]. Ce qui différencie ce dernier, c’est que le nom qu’il porte est aussi celui d’une espèce déterminée de choses matérielles avec lesquelles il croit soutenir des rapports très particuliers dont nous aurons plus tard à dire la nature ; ce sont notamment des rapports de parenté. L’espèce de choses qui sert à désigner collectivement le clan s’appelle son totem. Le totem du clan est aussi celui de chacun de ses membres.

Chaque clan a son totem qui lui appartient en propre ; deux dans différents d’une même tribu ne sauraient avoir le même. En effet, on fait partie d’un clan par cela seul qu’on porte un certain nom. Tous ceux donc qui portent ce nom en sont membres au même titre ; de quelque manière qu’ils soient répartis sur le territoire tribal, ils soutiennent tous, les uns avec les autres, les mêmes rapports de parenté[3]. Par

  1. C’est la définition que Cicéron donne de la gentilité : Gentiles sunt qui inter se cadem nomine sunt (Top. 6).
  2. On peut dire, d’une manière générale, que le clan est un groupe familial où la parenté résulte uniquement de la communauté du nom ; c’est en ce sens que la gens est un clan. Mais, dans le genre ainsi constitué, le clan totémique est une espèce particulière.
  3. Dans une certaine mesure, ces liens de solidarité s’étendent même par-delà les frontières de la tribu. Quand des individus de tribus différentes ont un même totem, ils ont les uns envers les autres des devoirs particuliers. Le fait nous est expressément affirmé de certaines tribus de l’Amérique du Nord (v. Frazer, Totemism and Exogamy, III, p. 57, 81, 299, 356~357). Les textes relatifs à l’Australie sont moins explicites. Il est cependant probable que la prohibition du mariage entre membres d’un même totem est internationale.