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tive et celle d’aujourd’hui, le collectivisme des sociétés inférieures et les tendances socialistes actuelles, la monogamie qui est fréquente dans les tribus australiennes et celle que sanctionnant nos codes, etc. Dans le livre même de Frazer on trouve des confusions de ce genre. Il lui est arrivé souvent d’assimiler aux pratiques proprement totémiques de simples rites thériolâtriques, alors que la distance, parfois énorme, qui sépare les milieux sociaux correspondants, exclut toute idée d’assimilation. Si donc nous ne voulons pas tomber dans les mêmes erreurs, il nous faudra, au lieu de disperser notre recherche sur toutes les sociétés possibles, la concentrer sur un type nettement déterminé.

Il importe même que cette concentration soit aussi étroite que possible. On ne peut comparer utilement que des faits que l’on connaît bien. Or, quand on entreprend d’embrasser toutes sortes de sociétés et de civilisations, on n’en peut connaître aucune avec la compétence qui serait nécessaire ; quand on assemble, pour les rapprocher, des faits de toute provenance, on est obligé de les prendre de toutes mains sans qu’on ait les moyens ni même le temps d’en faire la critique. Ce sont ces rapprochements tumultueux et sommaires qui ont discrédité la méthode comparative auprès d’un certain nombre de bons esprits. Elle ne peut donner de résultats sérieux que si elle s’applique à un nombre assez restreint de sociétés pour que chacune d’elles puisse être étudiée avec une suffisante précision. L’essentiel est de choisir celles où l’investigation a le plus de chances d’être fructueuse.

Aussi bien la valeur des faits importe-t-elle beaucoup plus que leur nombre. La question de savoir si le totémisme a été plus ou moins répandu est, à nos yeux, très secondaire[1]. S’il nous intéresse, c’est avant tout parce que,

  1. L’importance que nous attribuons au totémisme est donc tout à fait indépendante de la question de savoir s’il a été universel, nous ne saurions trop le répéter.