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comme, suivant lui, langage et pensée sont séparables, ce qui est vrai de l’un est vrai de l’autre. « Lorsque, dit-il, j’ai tenté de caractériser brièvement la mythologie dans sa nature intime, je l’ai appelée maladie du langage plutôt que maladie de la pensée. Mais, après tout ce que j’avais dit, dans mon livre sur La science de la pensée, de l’inséparabilité de la pensée et du langage et, par conséquent, de l’identité absolue d’une maladie du langage et d’une maladie de la pensée, il semble qu’aucune équivoque n’était plus possible... Se représenter le Dieu suprême comme coupable de tous les crimes, trompé par des hommes, brouillé avec sa femme et battant ses enfants, c’est sûrement un symptôme de condition anormale ou maladie de la pensée, disons mieux, de folie bien caractérisée »[1]. Et l’argument ne vaut pas seulement contre Max Müller et sa théorie, mais contre le principe même du naturisme, de quelque façon qu’on l’applique. Quoi qu’on fasse, si la religion a pour principal objet d’exprimer les forces de la nature, il n’est pas possible d’y voir autre chose qu’un système de fictions décevantes dont la survie est incompréhensible.

Max Müller, il est vrai, a cru échapper à l’objection, dont il sentait la gravité, en distinguant radicalement la mythologie de la religion et en mettant la première en dehors de la seconde. Il réclame le droit de réserver le nom de religion aux seules croyances qui sont conformes aux prescriptions de la saine morale et aux enseignements d’une théologie rationnelle. Les mythes, au contraire, seraient des développements parasitaires qui, sous l’influence du langage, seraient venus se greffer sur ces représentations fondamentales et les dénaturer. Ainsi la croyance à Zeus aurait été religieuse dans la mesure où les Grecs voyaient en Zeus le Dieu suprême, père de l’humanité, protecteur des lois, vengeur des crimes, etc. ; mais tout ce qui concerne

  1. Études de mythologie comparée, p. 51-52.