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les noms mêmes furent rapprochés et l’on crut pouvoir établir que, parfois, ils n’étaient pas sans rapports. De telles ressemblances ne paraissent pouvoir s’expliquer que par une communauté d’origine. On était donc conduit à supposer que ces conceptions, si variées en apparence, provenaient, en réalité, d’un fond commun dont elles n’étaient que des formes diversifiées et qu’il n’était pas impossible d’atteindre. Par la méthode comparative, on devait pouvoir remonter, par-delà ces grandes religions jusqu’à un système d’idées beaucoup plus ancien, jusqu’à une religion vraiment primitive dont les autres seraient dérivées.

Mais ce qui contribua le plus à éveiller ces ambitions, ce fut la découverte des Vedas. Avec les Vedas, en effet, on avait un texte écrit dont l’antiquité, sans doute, a pu être exagérée au moment où il fut découvert, mais qui ne laisse pas d’être un des plus anciens dont nous disposions dans une langue indo-européenne. On se trouvait ainsi en état d’étudier, avec les méthodes ordinaires de la philologie, une littérature aussi ou plus vieille que celle d’Homère, une religion qu’on croyait plus primitive que celle des anciens Germains. Un document d’une telle valeur était évidemment appelé à jeter une lumière nouvelle sur les débuts religieux de l’humanité, et la science des religions ne pouvait manquer d’en être renouvelée.

La conception qui prit ainsi naissance était si bien commandée par l’état de la science et la marche générale des idées qu’elle se fit jour presque en même temps dans deux pays différents. En 1856, Max Müller en exposait les principes dans ses Oxford Essay[1]. Trois années plus tard, paraissait le livre d’Adalbert Kuhn sur l’Origine du feu et de la boisson divine[2] qui s’inspire sensiblement du même

  1. Dans le morceau intitulé Comparative Mythology (p. 47 et suiv.). Une traduction française en a paru sous ce titre Essai de mythologie comparée, Paris-Londres, 1859.
  2. Herabkunft des Feuers and Götterlranks, Berlin, 1859 (une nouvelle édition en a été donnée par Ernst Kuhn en 1886). Cf. Der Schuss des Wilden Jägers auf den Sonnenhirsch, Zeitschrift f. d. Phil., I, 1869, p. 89-169 ; Entwickelungsstufen des Mythus, Abbliandl. d. Berl. Akad., 1873.