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vers Paris. Une autre raison, que Treitschke nous a également fait connaître, achève d’expliquer cet acte de force et, du même coup, en montre mieux la gravité éventuelle : c’est que, pour l’Allemagne, les petits États ne sont pas des États véritables. En effet, leur faiblesse constitutionnelle ne leur permet pas de s’affirmer comme puissances, c’est-à-dire comme États ; ils n’ont donc pas droit à ce respect que peuvent normalement revendiquer ces grandes personnes morales que sont les États proprement dits. Véritables anachronismes historiques, ils sont appelés à se perdre dans des États plus vastes, et l’État plus grand qui les absorbe ne fait, en ce cas, que les rendre à leur vraie nature. Il est comme l’exécuteur des lois de l’histoire[1].

Cette thèse est si bien celle du gouvernement allemand que M. de Jagow, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères, n’a pas craint de la défendre pour son propre compte. Causant un jour, avec un ambassadeur, du vaste empire colonial que possède la Belgique, il faisait remarquer que l’Allemagne était en bien meilleure situation pour en tirer parti et, « en développant son opinion, il essaya de faire partager à son interlocuteur, son mépris pour les titres de propriété des petits États ; seules, les grandes puissances avaient, selon lui, le droit et le pouvoir de coloniser. Il dévoila même le fond de sa pensée : les petits États ne pourraient plus jouir, dans la transformation qui s’opérait en Europe au profit des nationalités les plus fortes, de l’existence indépendante qu’on leur avait laissé mener jusqu’à présent ; ils étaient destinés à disparaître ou à graviter dans l’orbite des grandes Puissances[2]. » Cette conversation avait lieu quelques mois avant la guerre. De même, dans un rapport officiel et secret, qu’a publié le Livre jaune et qui, émané certainement d’une haute personnalité allemande, exprime suivant toute vraisemblance la pensée du gouvernement, on lit :

  1. Cf. supra, chap. I, 2, in fine.
  2. Beyens, La Famille impériale allemande, in Revue des Deux Mondes, 15 mars 1915, p. 264.