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les uns contre les autres. S’ils étaient abandonnés à eux-mêmes, à en résulterait une guerre de tous contre tous, bellum omnium contra omnes[1]. »

L’État a justement les exigences contraires. Il a, avant tout, besoin d’unité, d’ordre, d’organisation. L’État est une personne qui a conscience de soi ; il dit moi, je veux. Et ce moi ne varie pas d’un instant à l’autre ; mais il se développe, identique à soi-même dans ses traits essentiels, à travers la série des générations. L’État, c’est la stabilité opposée à ce kaléidoscope mouvant qu’est la société civile. Son activité a les mêmes caractères. Elle est faite d’efforts suivis et persévérants, en vue de fins constantes, élevées, lointaines, et elle contraste par-là avec la dispersion des activités privées, tout occupées à la poursuite d’intérêts prochains, variables et souvent contraires. La société est donc faite de deux sortes de forces qui sont orientées en des sens opposées. Elle recèle une véritable antinomie.


Le devoir des citoyens est d’obéir. ― En réalité, cette antinomie n’existe pas dans les faits. S’il est vrai qu’entre l’intérêt publie et l’intérêt privé il y a un abîme, il est faux que les particuliers ne soient mus que par leur intérêt propre. En s’unissant, en se liant les uns aux autres, ils prennent conscience des groupes qu’ils forment, depuis les plus simples jusqu’aux plus élevés, et ainsi prennent spontanément naissance des sentiments sociaux que l’État exprime, précise et règle, mais qu’il suppose. Son action trouve donc un appui dans les consciences individuelles, loin de n’y rencontrer que des résistances. Mais pour Treitschke, qui, sur ce point, ne fait que reprendre une vieille tradition allemande[2], entre l’individu et l’État, il y a une véritable antithèse ; seul, l’État aurait le sens de la chose commune. Dans ces conditions, pour que ces deux forces, manifestement opposées l’une à

  1. I, p. 54.
  2. Ce n’est pas la seule conception qu’on rencontre en Allemagne ; mais c’est la plus classique.