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elle est avertie que le droit à l’existence qui lui est concédé est tout conditionnel, par conséquent provisoire : il ne vaut que rebus sic stantibus ; la menace n’est qu’ajournée.

D’une manière générale, il ne parle qu’avec mépris du petit État, de ce qu’il appelle, d’un mot intraduisible, la Kleinstaaterei. « Dans la notion même du petit État, dit-il, il y a quelque chose qui prête incontestablement au sourire. En soi, la faiblesse n’a rien de ridicule ; mais il en va tout autrement de la faiblesse qui affecte les allures de la force[1]. » L’idée d’État éveille celle de puissance ; un État faible réalise donc une contradiction. Une fierté, un orgueil sans bornes, voilà, par excellence, les vertus de l’État. Or « il n’y a que les grands États où puisse se développer un véritable orgueil national, signe de la valeur morale d’un peuple[2] ». Les larges perspectives qui y sont ouvertes aux individus y développent un « sens mondial » (Weltsinn). On ne peut plus se laisser enfermer dans des limites trop resserrées ; on a besoin d’espace. La domination de la mer agit surtout dans ce sens. « La mer libre libère l’esprit. » Le petit État, au contraire, rapetisse tout à sa mesure. Il développe une mentalité de gueux (eine bettelhafte Gesinnung) : on apprend à n’y estimer l’État que d’après les impôts qu’il lève. « De là résulte un matérialisme qui a, sur les sentiments des citoyens, la plus déplorable influence[3]. »

De ce tableau, Treitschke conclut que l’existence des petits États n’est plus aujourd’hui qu’une survivance sans raison d’être. Suivant lui, il est dans la nature des choses qu’ils disparaissent : ils sont fatalement destinés à être absorbés par les grands États. Et comme la dignité de grand État n’est pleinement reconnue qu’à cinq Puissances (l’Italie nous est présentée comme seulement à la veille d’être admise dans

  1. I, p. 43.
  2. I, p. 44-45.
  3. I, p. 43. Treitschke veut dire que, dans les petits pays, on considère comme le meilleur gouvernement celui qui coûte le moins cher et, pour cela, lève le moins d’impôts. C’est, ajoute-t-il, perdre de vue « que l’État comme la coquille de l’œuf, ne protège pas sans exercer une compression ».