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l’État est ἀυτάρϰης, au sens que les philosophes grecs donnaient à ce mot : il doit se suffire complètement à soi-même ; il a et ne doit avoir besoin que de soi pour être et pour se maintenir ; c’est un absolu. Faite uniquement pour commander, sa volonté ne doit jamais obéir qu’à elle-même. « Au-dessus de moi, disait Gustave Adolphe, je ne reconnais personne, sauf Dieu et l’épée du vainqueur. » Cette fière formule, dit Treitschke, s’applique identiquement à l’État[1] ; encore la suprématie de Dieu n’est-elle guère réservée ici que pour la forme. En somme, « il est dans l’essence même de l’État de n’admettre aucune force au-dessus de soi[2] ».

Toute supériorité lui est intolérable, ne fût-elle qu’apparente. Il ne peut pas même accepter qu’une volonté contraire s’affirme en face de la sienne : car tenter d’exercer sur lui une pression, c’est nier sa souveraineté. Il ne peut avoir l’air de céder à une sorte de contrainte extérieure, sans s’affaiblir et sans se diminuer. Un exemple concret, mis sous ces formules, en fera mieux comprendre le sens et la portée. On se rappelle comment, lors des affaires du Maroc, l’empereur Guillaume II envoya à Agadir une de ses canonnières ; c’était une façon comminatoire de rappeler à la France que l’Allemagne n’entendait pas se désintéresser de la question marocaine. Si, à ce moment, la France, pour répondre à cette menace, avait envoyé dans le même port, à côté du Panther, un de ses vaisseaux, cette simple affirmation de son droit eût été considérée par l’Allemagne comme un défi, et la guerre eût vraisemblablement éclaté. C’est que l’État est un être éminemment susceptible, ombrageux même ; il ne saurait être trop jaloux de son prestige. Si sacrée que soit à nos yeux la personnalité humaine, nous n’admettons pas qu’un homme venge dans le sang un simple manquement aux règles ordinaires de l’étiquette. Un État, au contraire, doit considérer comme une insulte grave le moindre froissement d’amour-

  1. Politik, 1, p. 37.
  2. « Das Wesen des Staates besteht darin, dass er keine höhere Gewalt über sich dulden kann » (ibid.).