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qu’en tout cas elles ont été entendues très différemment selon les sociétés. Il s’en faut que les avantages d’une solide culture intellectuelle aient été reconnus par tous les peuples. La science, l’esprit critique, que nous mettons aujourd’hui si haut, ont été pendant longtemps tenus en suspicion. Ne connaissons-nous pas une grande doctrine qui proclame heureux les pauvres d’esprit ? Il faut se garder de croire que cette indifférence pour le savoir ait été artificiellement imposée aux hommes en violation de leur nature. Ils n’ont pas par eux-mêmes l’appétit instinctif de science qu’on leur a souvent et arbitrairement prêté. Ils ne désirent la science que dans la mesure où l’expérience leur a appris qu’ils ne peuvent pas s’en passer. Or, pour ce qui concerne l’aménagement de leur vie individuelle, ils n’en avaient que faire. Comme le disait déjà Rousseau pour satisfaire les nécessités vitales, la sensation, l’expérience et l’instinct pouvaient suffire comme ils suffisent à l’animal. Si l’homme n’avait connu d’autres besoins que ceux, très simples, qui ont leurs racines dans sa constitution individuelle, il ne se serait pas mis en quête de la science, d’autant plus qu’elle n’a pas été acquise sans laborieux et douloureux efforts. Il n’a connu la soif du savoir que quand la société l’a éveillée en lui, et la société ne l’a éveillée que quand elle-même en a senti le besoin. Ce moment arriva quand la vie sociale, sous toutes ses formes, fut devenue trop complexe pour pouvoir fonctionner autrement que grâce au con-