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qui lui est propre et qui peut servir à le définir au même titre que son organisation morale, politique et religieuse. C’est un des éléments de sa physionomie. Voilà pourquoi l’éducation a si prodigieusement varié suivant les temps et les pays ; pourquoi, ici, elle habitue l’individu à abdiquer complètement sa personnalité entre les mains de l’État, alors qu’ailleurs, au contraire, elle s’attache à en faire un être autonome, législateur de sa propre conduite ; pourquoi elle était ascétique au moyen âge, libérale à la Renaissance, littéraire au XVIIe siècle, scientifique de nos jours. Ce n’est pas que, par une suite d’aberrations, les hommes se soient mépris sur leur nature d’hommes et sur leurs besoins, mais c’est que leurs besoins ont varié, et ils ont varié parce que les conditions sociales dont dépendent les besoins humains ne sont pas restées les mêmes.

Mais, par une inconsciente contradiction, ce que l’on accorde facilement pour le passé, on se refuse à l’admettre pour le présent et, plus encore, pour l’avenir. Tout le monde reconnaît sans peine qu’à Rome, en Grèce, l’éducation avait pour unique objet de faire des Grecs et des Romains et, par conséquent, se trouvait solidaire de tout un ensemble d’institutions politiques, morales, économiques et religieuses. Mais nous nous plaisons à croire que notre éducation moderne échappe à la loi commune, que, dès à présent, elle est moins directement dépendante des contingences sociales