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de carabine et de pistolets chargés. Le poignard caché sous les vêtements de Galois, en réveillant le souvenir des Vendanges, justifiait pour lui une peine double de celle qu’on infligeait à son ami.

Ce jugement définitif fut rendu le 3 décembre. Galois retourna à Sainte-Pélagie et y fut écroué comme condamné le 17. Sa peine ne devait expirer que le 29 avril 1832. « Passer encore cinq mois sans prendre l’air ! c’est une fort triste perspective, écrivait sa sœur, et je crains bien que sa santé n’en souffre beaucoup. Il est déjà si fatigué. Ne se livrant à aucune pensée qui puisse le distraire, il a pris un caractère sombre qui le fait vieillir avant le temps. Ses yeux sont creux comme s’il avait cinquante ans. »

Sauf huit jours de transfert à la Force[1], dont j’ignore le motif, Galois fit toute sa prévention et toute sa peine à Sainte-Pélagie jusqu’au 19 mars 1832, jour où il fut envoyé dans une maison de santé.

À Sainte-Pélagie, le régime des prisonniers politiques était relativement doux. La nuit, ils étaient enfermés par groupes dans des chambrées situées aux étages supérieurs de la triste façade qui se dresse comme une noire falaise au-dessus de la rue du Puits-de-l’Ermite ; elle était alors toute neuve et éblouissante de blancheur. Le jour, ils pouvaient rester dans la chambrée, aller à la cantine, ou se promener dans la cour qui leur était réservée.

L’enfant qui ignorait tout de la vie trouva là, à côté de quelques compagnons dignes de le comprendre comme F.-V. Raspail[2], la foule assez mêlée des prisonniers pris dans les innombrables émeutes qui bouleversaient Paris depuis juillet 1830 ; gens du peuple de mœurs grossières, vieux grognards de l’empire, que sa jeunesse, sa petitesse, ses allures sauvages et méditatives surprirent, et qui, tout en l’aimant beaucoup, le firent horriblement souffrir. Il s’était remis au travail, travail de tête suivant son habitude, et marchait souvent plusieurs heures de suite dans la cour en méditant. Cependant la plupart des autres détenus passaient leur temps à boire, dans une cantine spéciale tolérée par le directeur, l’eau-de-vie que la femme d’un prisonnier

  1. Registre d’écrou de Sainte-Pélagie.
  2. La plupart des détails donnés sur le séjour de Galois à Sainte-Pélagie sont tirés des Lettres sur les Prisons de Paris de F.-V. Raspail.