Page:Dupuy - La vie d'Évariste Galois.djvu/37

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Votre protestation n’a été signée qu’après que M. Guigniault, sur un simple soupçon, et comme il en convient lui-même, sur des préventions de longue main, m’eût exclu de l’École comme auteur de la lettre.

Il n’appartient ni à vous ni à moi de prononcer définitivement sur le droit que s’est arrogé M. Guigniault. Mais ce que vous ne devez pas souffrir, c’est qu’il vous charge de toute la responsabilité de mon exclusion ; c’est qu’après les témoignages de confraternité que j’ai reçus de vous à mon départ, il ose déclarer que vous avez pris l’initiative pour amener mon expulsion.

Il est bien vrai qu’avant mon départ, nécessité par un refus matériel de subsistance, on vous avait suppliés de consommer cet acte de justice, et quoique rien n’eût troublé notre union, on vous conseillait par l’organe de M. Haiber, maître-surveillant, de vous opposer à mon plus long séjour à l’École ; mais vous avez repoussé ces honteuses insinuations. Faites plus, mes camarades ; je ne vous demande rien pour moi ! mais parlez pour votre honneur et suivant votre conscience. Vous avez décliné la responsabilité que semblait vous imposer l’auteur de la lettre. Démentez maintenant une assertion d’autant plus fâcheuse que votre silence soutiendrait la raison du plus fort. Je suis jusqu’à la décision du ministre votre condisciple et, pour la vie, votre dévoué camarade.

É. Galois.

Bien entendu cette lettre resta sans réponse ; mais elle est extrêmement précise et écrite sur un ton de vérité dont on ne peut pas ne pas être frappé. Elle est d’ailleurs confirmée, pour ce qui concerne les adieux, par la lettre du camarade dont j’ai déjà parlé. C’était un littéraire et un philosophe ; il ignorait totalement la valeur de Galois et n’y faisait pas la plus petite allusion : il le présentait à son correspondant comme un mauvais sujet s’il en fut, du caractère le plus profondément pervers et sournois ; il l’accusait de perfidie, d’invectives atroces, d’imputations bassement mensongères ; M. Guigniault lui paraissait au contraire l’homme le plus franchement libéral qu’il eût jamais connu ; mais, ajoutait-il, « que j’ai été affligé, quand ce pauvre insensé, sortant ignominieusement de l’École, est venu nous dire adieu ! ». Galois n’a donc pas quitté l’École comme il eût été obligé de le faire, si l’unanimité de ses camarades se fût dès le premier moment prononcée contre lui et pour son exclusion.

En tout cas, pour apprécier équitablement ce pénible épisode de l’histoire de l’École Normale, il ne faut pas perdre de vue le déchaînement de passions au milieu duquel il s’est produit. Il est nécessaire