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La lutte entre les libéraux et le clergé avait pris partout une intensité extrême à la suite des élections de 1827 ; partout l’hostilité du roi contre le ministère Martignac, en excitant l’audace du parti réactionnaire, faussait les ressorts de la vie publique. Un jeune prêtre, récemment nommé à la cure du Bourg-la-Reine, y prit position contre le maire qui depuis quinze ans avait su conserver son indépendance. Il lia partie avec un adjoint pour supplanter M. Galois : une cabale fut montée, des couplets à la fois bêtes et licencieux coururent et furent attribués au maire, calomnie d’autant plus perfide qu’un membre même de sa famille y était tourné en ridicule. Tant de méchanceté atteignit trop bien son but : la nature bienveillante de Galois ne put résister à cette attaque : il fut pris du délire de la persécution, et, le 2 juillet 1829, profitant d’une absence de sa femme, il s’asphyxia dans l’appartement qu’il avait à Paris, rue Jean-de-Beauvais, à deux pas du collège de Louis-le-Grand. Évariste conduisit le deuil de son père. De Saint-Étienne-du-Mont où les prêtres avaient consenti à recevoir le corps du suicidé, il suivit le cercueil jusqu’au cimetière du Bourg-la-Reine où le conseil municipal avait offert une tombe ; la population du village vint au-devant de son maire jusqu’au pavé de Bagneux ; on l’enleva du corbillard et on le porta à bras d’hommes pendant une demi-lieue ; devant l’église où le clergé attendait le cortège, il y eut une petite émeute : le curé fut insulté et blessé d’une pierre au front. M. Galois fut descendu dans sa fosse devant son fils, au milieu du tumulte des passions politiques déchaînées[1].

Dans l’âme d’Évariste une pareille catastrophe, suivie d’un pareil spectacle, devait laisser une impression profonde. Il haïssait l’injustice d’autant plus énergiquement qu’il s’en croyait déjà la victime ; la mort et l’enterrement de son père exaspérèrent encore cette haine pour tout ce qui était injuste et bas, et en même temps sa tendance à voir partout injustice et bassesse. Ce fut en persécuté et en désespéré, comme son père, que, à défaut de l’École Polytechnique, il se retourna vers l’École préparatoire. Il y fut nommé le 25 octobre 1829, le second d’une liste de cinq élèves destinés à la section des Sciences ; il se prépara à y entrer comme un polytechnicien en exil.

  1. D’après les renseignements fournis par différents membres de la famille.