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seconde redoublée avait été pour lui l’année de crise intellectuelle, comme la quatrième avait été celle de crise morale.

Les classes de Mathématiques n’avaient pas alors, comme aujourd’hui, une existence indépendante ; elles ne prenaient qu’une partie du temps de leurs élèves et les recrutaient dans les diverses classes supérieures de Lettres, selon la force, les convenances et les vues d’avenir de chacun. Ainsi Galois avait profité de son retour en Seconde pour entrer en même temps en Mathématiques préparatoires, première année. C’est là qu’il eut, sans plus tarder, la révélation de ses extraordinaires facultés. À peine eut-il entre les mains la Géométrie de Legendre, qu’il la lut d’un bout à l’autre, comme un autre eût fait d’un roman, m’a dit son ancien condisciple, M. Ludovic Lalanne ; et, lorsqu’il eut fini, toute la longue série des théorèmes demeura fixée dans son esprit, aussi complète et aussi claire qu’au bout de deux années d’étude appliquée pour n’importe quel autre élève. Dans cet ordre de spéculations, son intelligence ignora toujours l’effort : d’un coup d’aile, du premier, elle quitta les plaines pour s’élever tout de suite aux sommets. Une Note du Magasin pittoresque de 1848, qui est probablement de son camarade Flaugergues[1], nous apprend que les livres élémentaires d’Algèbre ne satisfirent jamais Galois, parce qu’il n’y trouvait pas la marque des inventeurs : dès sa première année de Mathématiques, il recourut à Lagrange ; il fit son éducation algébrique dans les Ouvrages classiques de ce grand homme : la Résolution des équations numériques, la Théorie des Fonctions analytiques, les Leçons sur le calcul des Fonctions. Déjà, sans doute, il supportait malaisément la direction de son professeur, M. Vernier, bien que celui-ci dût constater son zèle : il n’eut que le deuxième accessit de sa classe, mais enleva le prix au Concours général. Il avait enfin mis le pied sur cette terre nouvelle dont le désir obscur le travaillait depuis un an déjà, et l’avait détaché des études littéraires : il y entrait en conquérant, à la stupeur de ses camarades et de ses maîtres ; lui-même en ressentit un immense orgueil, en même temps qu’il était entraîné avec une rapidité vertigineuse par un désir fou de marcher en avant,

  1. D’après M. Ludovic Lalanne. Le frère de M. Ludovic Lalanne, Léon Lalanne, avait été en Mathématiques spéciales avec Galois.