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MONSIEUR JACQUES. 7


à transporter sa femme dans sa chambre, la France n'est pas aussi perdue que je le croyais, puisqu'il s'y trouve en- core des cœurs susceptibles de reconnaissance el d'amour,

Une fois que léxcellente femme de l'ancien régisseur eut

repris ses sens, elle me Supplia, en pleurant, de lui conter laut ce que je savais sur le comple de Gaston de L”"”, je i'empressai de lui obéir, “ — Malheureux jeune homme ! s'écria-t-elle dès que j'eus achevé mon récit, mourir d'une si terrible façon, après avoir tant souffert, lui qui était si bon, si brave, si généreux, si dévoué !

— Pourquoi plaindre Gaston et Laure, madame ? lui di ne sont-ils pas à présent réunis dans le ciel? x

— Qui, ils sont, en effet, plus heureux que nous, reprit madame de V***, après un moment de silence, que nous, qui vivons au milieu du crime, des larmes et du sang!

M, V%*, probablement af de couper court à celle péni- bie conversation qui affectait si vivement sa femme, lui de- manda. alors comment se portait leur fille, qui, me dit-il, gardait Je lit depuis deux jours avec la fièvre. \

— Clotilde est toujours bien souffrante, lui répondit-elle ; toutefois, le médecin qui est venu unpeu après Lon départ m'a bien assuré qu'elle ne courait pas le moindre danger.

— Fi Louis? poursuivit M. V*%, je ne l'aperçois pas ? n'est-il donc pas encore rentré? 5 Ti À

— Non, mon ami; je ne l'ai pas vu depuis qu'il est sorti avec toi.

— En effet, il m'a accompagné à l'incendie, mais la foule nous à séparés,

L’ex-géraut du comte de L*” achevait à peine de pro- noncer ces paroles quand son jeune fils Louis rentra,

Louis pouvail avoir de quinge à seize ans. C'étail pn en- fant à l'air candide et Ger tout à la fois ; on comprenjit, rien qu'en l'apercerant , qu'un noble cœur baltail déjà dans sa jeuve poitrine, x ‘eflusion respectueuse avec laquelle il emhrassa sa mère, et la sollicitude qu'il mit à l'interroger sur sa santé, com- plétèrent la bonne opinion que je m'étais, dès le pre: coup d'œil, formé sur son compte.

La soirée étant déjà avancée, M. de V*#* ne voulut point consentir à me laisser relourner à l'hôtel; sa femme s'em- pressa de me proposer une chambre,

Encore tout agité par l'affreuse catastrophe dont je venais d'être le Lémoin, il me fut impossible de goûter un moment de repos; en vain mes paupières s'abaissaient-elles alour- dies par le sommeil, aussitôt l'image de l'infortunée Laure inourante, ou bien celle de Gaston, m'apparaissait et me rendait à l'insomnie.

Cette nuit me parut donc bien longue ; je réfléchis mûre- ment, amèrement même, à la conduile que je devais tenir je pris le parti de hâter mon voyage, de relourner au plus tô1 dans ra famille, puis, une fois rendu près dé mon père, et uni à ma fiuncée, de vivre solitaire, loin des hommes et des événements, daus le calme et le silence.

Le sang, un peu rafraichi par la perspective du repos, qui devait succéder bientôt pour moi à toutes es agitations et à loutes les émotions que j'avais subies depuis que j'étais volontaire, je parvins enfin au jour n nt à m'endormir.

Hélas! combien j'étais loin de deviner le réveil qui m'at- tendait! de songer à toutes les angoisses, les douleurs, les souffrances qui devaient, sous peu d'heures, s’abatire sur moi, incessantes et impitoyables, et me faire vider le ca- lice de la perséeution jusqu'à la lie.

Lorsque je me levai, un magnifique soleil resplendissait à l'horizon; lout souriail dans la nature.

Un coup discrètement frappé à la porte de ma chambre m'annonça l'arrivée.de mon hôte, M, V*** venait w’avertir que le déjeuner était servi et que l'on m'attendait plus que moi pour se mettre à table. -

Je trouvai, en entrant dans la modeste salle à manger de lex-gérant, son excellente fenune qui nous attendait,

4€ ni'informai de l'élat de sa santé et de celle de sa fille,

— Ma boune Clotilde a passé une nuit fort agité», me ré- poudit-élle ; je viens d'envoyer sou frère chercher le méde_

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j ein; quant à moi, je suis lellement habituée au malheur que ia sensibilité nerveuse s'est émoussée : mon cœur souffre seul ; mon corps résiste.

Madame V*** s'excusa alors auprès de moi du mauvais déjeuner qu'elle allait, — ce qui était au reste parfaitement vrai, — me faire faire; je l'assurai, — el elle de me croire, — que, par le temps de diselie qui existait, j'étais habitué à ne m'asseoir, à peu d'exceptions près, que devant des ta-

les maigrement servies. é

Nous venions à peine de commencer, lorsque plusieurs coups, frappés avec précipitation et violence à Ja porte de la rue, retentirent, «

— C'est Louis qui revient avec le médecin, dit madame V# en se levant pour aller ouvri

Louis, sachant sa sœur malade, n'aurait pas frappé ainsi, lui répondit son mari. -

J'avouerai que je seutis en ce moment une peur singu- lière me serrer le cœur,

Je me figurai que, dénoncé comme le complice du comte de L**, l'on venait narrêter,

Mille pensées conluses se heurtèrent dans mon cerveau : il fallait résister ou bien céder, en appeler à la force ou à la résignalion.

Je ne savais à quel parti me résoudre, lorsque madame VÉ*# mi fin, en rentrant dans la salle à manger, à mes in- certitudes,

— Mon ami, dit-elle à son mari, .c'est le commissaire chargé des réquisitions de couverlures de laine qui vient faire une visite chez nous, el nous demander notre coulin-

ent.

FL ve se levait et allait répondre, lorsqu'un cri déchie ränt, qui relentil dans une pièce voisine, le {rappa de stu- peur el le relint immobile à sa place comme sil eût dé altient, par la foudre.

— Secourez ma fille, ma Clotilde! me dit madame V***, en proie à la plus vive lerreur.

Un second eri d'angoisse se fit alors entendre.

Je pris mon sabre el me précipitai dans la direction d’où il élait parti, a. e

Une porte que je trouvai à moitié onverle devant moi et que je poussai avec violence me donna entrée dans la clan bre de la fille de mes hôte:

Jamais je n'oublierai l'iudignation profonde dont je fus saisi à la vue du commissaire des réçuisitions tirant À Jui, malgré les efforis que faisail la pauvre jeune malade pour lui résister, la couverture qui la recouvrait,

— Misérable, lui dis-je, en le prenant par le collet de sa carmagnole, que fais-tu là?

— dJ'accomplis mon devoir, me répondit-il en me regar- dant d’un air menaçant.

— Ton devoir est-il done d'outragér la pudenr des jeunes filles et de compromettre la vie des malades? Tu vois bien que cette demoiselle est en proie à une fièvre violente !.. Voyons, sors d'ici et dépêche-toi !

— Je w’ai d'ordre à recevoir de personne, et tes grandes moustaches ne m'en imposent nullement, mon militaire, Eh! vous auires, ajouta le commissaire des réquisitions en se relournant vers deux grands diables laillés en athlètes, qui lui servaient d'aides et d’escorte, empêchez. done ce gueux de fédéraliste de me déranger ainsi.

A peine ces paroles étaient-elles prononctes, que les de: x coquins me saulèrent à la gorge, avant que j'eusse le tem de me mettre en défense.

— Très-bien ! Voilà qui s'appelle travailler. À présen! nous deux la belle enfant, continua le commissaire, en dressant à la pauvre malade qui, en proie à la frayeur là plus extrême, se tenait blottie dans là ruelle de son lit,

Le monsire saisit alors le drap eL la couverture, et les Grant à lui par un brusque mouvement eten employant tou- tes ses forces, il parvint à les arracher des mains crispées de mademoiselle Clotilde, qui resta exposée, rougissunte de honte et de pudeur, à ses regards. :

Un grossier el cynique éclat de rire que poussa l'infime comubsaire, eL qui trouva un digne écho dans ses deux