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LI MONSIEUR JACQUES.


— Des délais! Jamais! s'écria le vice-président. Secré- taire, écrivez à ces commissaires qu’à l'avenir tout retard sera considéré comme délit contre la liberté publique et puni comme tel, selon la loi du 44 frimaire, Quant à ceux qui prétendent que les récoltes ne sont pas arrivées à malu- rité, avertissez-les que nous ne pouvons nous payer d’une aussi pitoyable excuse : que les foins et les blés soient ré- volulionnairement coupés!

— Voici une lettre du maire d’Apremont, continua le rap porteur, qui demande la destitution de l'agent national, en alléguant que cet agent pressure pour son propre comple les paysans de la commune! Cet agent, qui dans le temps à été un des plus zélés dénonciateurs des aristocrates, a donné de nombreuses preuves de dévouement à la République. Que faut-il répondre au maire ?

— Parbleu ! il ne faut pas lui répondre. IL faut le faire arrêter.

— Bravo ! bien répondu! s’écrièrent en chœur les admi- nistraleurs du district.

Ea ce moment, entra dans la salie des délibérations un homme de bonne mine et fort proprement vêlu, qui allira mon allention. Le nouveau venu, à chaque pas qu'il faisait dans la direction des administrateurs, les saluait en s’incli- nant profondément.

Lorsqu'il fut rendu près de leur table, il se décida à parler.

— Citoyen président, citoyens administrateurs, dit-il d’une voix émne, j'ai bien l'honneur de vous faire très-hum- blement ma révérence,

— Nous n’avons que faire de ta révérence, répondit le vice-président. Qui es-in et que veux-lu? — Je suis un honnèle notaire publie.

— Notaire royal et royaliste ?

— Jamais, mon président, jamais !

— Apnque et un peu fédéraliste ?

— Ah! mon président, ne plaisantez pas ainsi, je vous en conjure, s'écria le pauvre notaire déconcerté et tremblant de tous ses membres, le bon Dieu et la sainte Vierge saveut la pureté de mon cœur,

— Tu parles du bon Dieu et de la sainte Vierge! Hum! voilà qui est au moins carrément anüi-révolutionnaire ! Après tout, nous préférons un ennemi bien franc el qui nous brave en face, à un traître qui nous trompe en nous souriant.

— Moi, votre ennemi! Moi, vous braver, illustres toyens, administrateurs éclairés et consciencieux, s'écria le malheureux notaire en pâlissaut. Dieu du ciel, il faut alors que je me sois exprimé avec une inconcevable maladresse, car telle n’est certes pas mon intention. Je ne vois pas qu'en implorant Dieu et la sainte Vierge. 4

— Mais, imprudent, dit le président en interrompant le notaire, ne sais-tu pas que la République n’admet ni la Vierge, ni l'ancien bon Dieu! Elle ne reconnait que l'Être suprème, Au reste, nous verrons à faire plus tard une en-

quête sur LOn comple. À présent, que veux-tu ?

— Mon président, j'ai obtenu un certificat de civisme de ma commune, et je viens vous supplier de vouloir bien y apposer votre visa, si toutefois vous m'en jugez digne. Ci- toyen, j'ai une femme et sept enfants.

‘est beaucoup trop s'ils Le ressemblent.

— Ciloyens, je suis votre servileur très-humble; mais permellez que... ;

— I n'y a plus de serviteurs!.… Voilà un propos anti- révolutionnaire qui confirme la mauvaise opinion que j'ai de toi! Alions, li seb de (RD l LE perdu, éloigue-toi; nous examinerons lon affaire à loisir,

Le malheureux notaire n’osant plus répliquer, car jus- qu'alors le dialogue ne lui avait réellement pas réussi, se relira accablé et honteux.

— Pauvre diable, dis-je à voix basse à mon cicerone, il part la mort dans l'âme. Pourvu toutefois qu'il ne lui arrive pas malheur. Je crois qu'il à mal fait d'appeler sur lui l'at- tention des administrateurs.

— Ne craignez rien pour lui, me répondit sur le même lon mon compagnon; si les adwinistrateurs l'ont ainsi mal-


traité, c'esl parce qu'il à été maladroit eu s'adressant à eu eu plein public au lieu de venir les trouver en particuli Cetle affaire, j'en suis persuadé, s’arra ngera à la satisfaction des deux parties, moyennant finance,

À péine le notaire avait-il quitté la salle qu'un vieil- lard, revèln d’un habit bleu outrageusement räpé, mais fort propre, s’avança à son tour.

— Ah! te voil, Chambeau? Int dit le secrétaire du dis- Lrict, tu n'as qu'à revenir samedi prochain, tes états de ser. vice ne sont pas prêts.

— Mais j'ai 80 ans et j'ai fait quatre lieues à pied.

— Tu aurais beau avoir fait vinet lieues que cela w'avan: cerait en rien le travail arriéré ! Quant à tes 80 ans

— Ma foi, je ne les regrette pas, s'écrin Ghambeau avec une vivacité qui contraslait avec son grand âge, Plus ie vieillis et plus je m'aperçois que la race des honnêtes gens disparait el s'éteint! Quand je mourrai, et grâce à Dien cela ne peut larder, je ne laisserai gnère de Draves gens der- rière moi! Le subdélégué m'a loujours payé, lui, mais vous, vous êtes des...

— Des républicains! s'écria le secrétaire en se hâtant de couper là parole à Chambean.

Je vons conseille de vous en vanter, reprit vivement le vieillard; avec cela que nous avons gagné grand'ehose avec votre République, où l'on ne trouve pas un morceau de pin, et qui ne nous laisse, en fait de liberté, que celle d'aller nous noyer où nous pendre, pour en finir avec notre

— Chubeau, la République française honore la vieil- lesse !

— Est-ce en la faisant mourir de faim?

— Combien doit-on à ce Chambeau? demanda président en s'adressant au secrétaire.

— Il est en demi-solde, répondit ce dernier; or, sa démi- solde unie à sa récompense militaire s'élève à la somme de 8 livres 10 sous pour le mois dernier,

— Eh bien! voilà, Chambeau, un assignat de 10 livres, dit le vice-président, rends-moi trois assignats de dix sous.

— Je suis sans un liard ! répondit le vicillard,

— Alors va changer mon assignat! Quant à toi, citoyen secrétaire, ajouta le président, j'espère que tu n'oublier pas de me faire rembourser le plus 10 possible.

Depuis quelques instants, j'entendais, dans la première salle que l'on devait traverser avaut d'entrer dans celle des séances, le bruit produit par une canne qui ffappait le plan- cher à longs intervalles. Chaque coup de cette canne était suivi d'un effort pénible de respiration, =

A peine le vétéran Chambeau venai-il de s'éloigner qu'un bon vieil homme, afublé d’une perruque, de deux bonnets et d’un antique castor, apparut s'appuyant d'un côté sur celle canne que j'entendais résonner depuis longtemps déjà sur les dalles, et de l'autre sur le bras de sa gouvernante,

— Ab! je n'en puis plus, s'écria-il en se laissant {om ber de tout son poids dans un fauteuil.

Puis, après avoir respiré avec peine :

— Citoyens administrateurs, continua-t-il, malgré ma goulte, mon asthme, je viens vous demander en personne de we rendre justice. J'espère que ma triste situation vous ren- dra favorables à ma requèle.

Voici en peu de mols le fait qui m'amène ici.

Ge malin, un huissier est venu m'annoncer que mes biens se trouvaient mis sous séqueslre, el peu d'inslauts après m'a réclamé le montant de mes impositions. Or, je ver justement de vendre la maison que j'occupe, el je comptuis Sur ces fonds pour me libérer envers la République. Com ment voulez-vous donc que je fasse à présent si l'on me confisque ma propriété? ÎL ne me reste plus qu'à aller en prison où à mourir dans la rue, au coin d'une borne.

— Et comment se fait-il que tes biens se trouvent sous le séquestre? demanda le vice-président au vieillard.

— Hélas! citoyen, par la raison que ma maison fait partie d'une succession qui nous est échue, à mon oncle le prieur el à moi.

— El où est-il, à présent, ton oncle le prieur ?

— Hélas! il est en émigration, citoyen,


le vice-