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46 MONSIEUR JACQUES,



sième le bras droit cassé. Depuis lors, Anselne devint l'idole de ces bandits, si grands adinirateurs de la force physique : pas un d’entre eux n’eûl osé l'aborder sans le saluer.

Un malin, vous apprimes une nouvelle qui nous causa à tous une bien sensible joie. Le bruit se répandit qu'une mesure générale allait être prise pour la mise en liberté des prisonniers,

En effet, depuis assez longtemps déjà, la Convention avait rendu un décret annonçant la nomination d'une commission populaire appelée à juger Lous les détenus, Or celle commis- Sion, disail-on, allait commencer ses travaux,

Nous étions tellement malheureux que, sans nous arrêter à ce qu'il y avait de puéril à attendre un acte de justice de Ja Convention, en l'an I de la République, nous mimes toute notre confiance dans ce nouveau Lribunal,

Mes mémoires furent disposés; chacun fil l'examen de sa conscience; presque tous fiers de la pureté de leur à Jr limpidité de leurs antécédents, se faisaient un plai meltre au grand jour leur vie privée et politique.

Enfin, peu de jours après, l'on nons annonça que la nou- yelle commission populaire opérait déjà au Luxembourg et à la Bourbe, et qu'elle devait venir à Saint-Lazare lrès-pro- chainement. ”

— Je n'ai pas confiance dans loules ces singeries-là 1 me dit Anselme; si j'étais prêt, je n'hésiterais pas à Le proposer de partir,

Le lendemain même du jour où Anselme m'avait prouvé, par celle réponse, qu'il ne renonçait nullement à ses projels d'évasion, la garde fut doublée, vers les sept heures du ma- tin, et de nombreuses patrouilles, taut à pied qu'à che: euvahirent la maison Lazare.

Peu de temps après, nous vimes plusieurs particuliers qui nons étaient inconnus entrer au grelle en compagnie de l'administrateur Bergot.

Nul doute; c'était la bienheureuse commission populaire, Nous raisonnions à perte de vue sur le plus ou moins de chance de garanties et de succès que nous présentail celie commission, lorsqu'on nous signifia d'entrer dans nos charu- bres respectives. CeL ordre devint plus précis, el pendant qu'il s'exécutait, des forces suffisantes furent introduites dans le corridor Vendémiaire, où, le lecteur s’en souvient peut-être, j’hahitais avec Anselme,

Cette mésure parut extraordinaire, Chacun la çombina el la commenta à sa guise en la rapportant toujours à la com - mission populaire, Nous [mes tous complètement dans l'er- reur jusqu'au moment vù les hommes que nous avions vus entrer at grefe parütent dans le corridor gardé 1 investi par la troupe. Les nouveau-venus, décorés d’un ruban 1 colore, accümpagnés de Bergot et précédés par Leduc, ce jeune porte-clefs avec qui j'en élais venu aux mains le jour de mon entrée à Lazare, étaient tout bonnement des admi- nistraleurs de police. Ils se divisèrent en deux bandes : lune prit la droite, l'autre la gauche du corridor, et, ainsi, F ‘agés, ils commencèrent la visite de toutes les chambres. Isbouleversèrent impitoyablement et sans aucun ménage-

ment nos effets, fouillèrent jusque dans les paillasses, et confisquèrent les couteaux, Îles rasoirs, les canifs, les ci- seaux, les compas, en un mot, tous les instruments tran- chants que nous possédions. A celle confiscation motivée j un certain point comme mesure de sûrelé générale, jgnirent notre argent, nos montres et nos bijoux. Ces perquisitions el'ce dépouillement durèrent trois jours: da garde introduite dans la prison pour nous contevir ne resla pas longtemps en défiance sur notre comple : elle vit bientôt que ces hommes, que l'on représentait au dehors comme des conspirateurs forcenés ‘et des natures indampla- bles, étaient les gens les plus paisibles et les plus inoffensifs de la Lerre; elle S'hüumanfsa. et en nous quillant, elle nous témoigna la compassion qu'elle ressentait pour nos souf- frances.

La honteuse spoliation dont nous venions d'être victimes restreiguit de beaucoup notre ordinaire : les deux détenus qui jusqu'à ce jour avaient abandonné à Auselwe les cine quan(e sols que leur allouait le goyrerugneut pour leur 6:


Lretien, réduits eux-mêmes à la misère, car on n'avait laissé à chaque détenu que cinquante livres en assignals, repri rent, Comme de juste, leur allocation. :

A peine Anselme et moi, avec nos cinq-livres, parvtames- nous à nous procurer la quantité de nourriture qui nous était strictement nécessaire pour ne pas mourir de faim, Anselme montra en cette circonstance une rare délicatesse de sentiment, Sachant que personne ne connaissait mieux * que moi son remarquable appétit, il leignit d’être pris d'une indisposition grave, afin de pouvoir laisser intacte la part qui me revenait. Le lendemain du jour où nous fûmes dé- pouillés, l'Italien Manini entra invpinément daus noue chambre.

— ‘liens, dant de site?

L'Ilalien, avant de répondre, rega:da autour de lui d'un air soupçonneux, et voyant que nous étions seuls, Auselwe el moi :

Mes amis, nous dit-il, vous voyez en moi un homme né

— Vraiment! s’écria mon compagnon d’un air ironique: et quelle est donc la cause de cette grande indignation ?

— Peux-tu m'adresser une semblable question, reprit l'Italien, crois-lu donc que je n'ai pas de sang daus les vei- nes, el que j'ai pu rester indifférent à la façon iudigue dont on à agi envers nous !

— Alors, lu es indigné, fougueux Manini ?

— Exaspéré, hors de moi, décidé à Lout tenter pour me venger,

— Ah 1 tu veux tenter quelque chose !

— Oui, répondit l'Italien en baissant encore la voi: l'avouerai même que je compte sur toi pour m'aide: mes projets.

— C'est selon. Quels sont tes projets?

Manini, au lieu de répondre, porta allernativement ses yeux de moi sur Anselme et d'Anselme sur moi.

— Eh bien ! continua ce dernier, j'attends, parle! — Je ne demanderais pas mieux, dit l'Italien, n'ai pas l'honneur de connaitre personnellement le cit

— Si c’est là la cause de lon embarras et de Les hésita- tious, s'écria Anselme en riant, il faut convenir que lu n'es guère physionomiste ! Le citoyen est mon ami intime, mon ancien compagnon d'armes, un second moi-même | Tout ce que l'on me dit, je le lui répète; tu peux donc l'expliquer sans crainte devant lui,

— Puisque tu me réponds du citoyen, reprit l'Halien en me saluant, c'est différent. Or, cher Anselme, apprends done que j'ai formé un projet aussi gigantesque qu'il est mple et audacieux. Avant tout, je dois L'avertir que je pos- side au dehors de nombreuses intelligences ; que mes amis ont soudoyé la plupart des sentinelles qui veillent sur nous el des guichetiers qui nous gardent; que, quant à ceux qui pourraient nous être hostiles, l'on nous fournira, le moment d'agir venu, toutes les armes que nous voudrans…

— Diable! s’écria Anselme en _interrompant l'Halien, il parait qu'il s'agit d’une chose considérable, Tu avais bien raison, je le vois, de ie parler d'un projet gigantesque. Nous serons done armés : c'est convenu. Ma fui, jusqu'à RÉ ent, le peu que je devine de tes intentions me sourit

eaucoup, Poursuis, je suis tout oreilles.

À celle imprudeute réponse d'Auselme, je luiallongeai, en ayant l'air de me baisser pour ramasser quelque/chose, un violent coup de coude dans les côtes pour l'avertir qu'il eùl à s'observer, mais Anselme parut ne pas me comprendre.

— Une fois armés, reprit l'Ilalien avec force, nous nous répandons das Paris en erjaut : À bas la lyrannie! vive le roi! Nous attroupons les honnèles geus,” qui 1remblent au- jourd’hni, parce qu'un point d'appui leur maque, mais qui, ea voyaut un noyau d'hommes décidés, n'hésileront plus à se prononcer et à se joindre à nous; puis nous nous Cinpa- rous de cet infäme Robespierre, que nous fusillons sur F — Bon! A présent que Robespierre u'est plus, etque


c'est toi, citoyen ? lui dit Anselme en le regar ers. Quel motif nous. vaut l'honneur de {a vi


et je das