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45 détenu à qui j'avais conhé mes londs, png j'avais quitté mon cachot de l'Abbaye pour me rendre à l'hôpital, les lui avait fidèlement remis,

Moyennant trente livres que je donnai au porte-clefs Leduc, qui revint une heure plus tard pour s'informer si je n'avais besoin de rien, je me trouvai, avant la fin de la journée, pos- sesseur d’un lil de sangle et d’une paire de draps presque propres, Aucun délenu n'avait voulu me céder sa place.

de laisse à penser au lecteur si celle journée s’écoula ra- pidement pour moi! J'avais tant de choses à raconter à An- selme, tant d'événements à apprendre de lui ! tu bien, mon cher ami, me dit-il, qu'un moment, lorsque nous faisions côle à côte nos étapes, le sac sur le dos, tu as été sur le point de faire de moi un républicain ;

je l'avoue, adopter les opinions de mes amis, sont honuèles, à prendre la peine de réñé= chir et de me former una conviclion par moi-même... Mais aujourd'hui, vois-tu, il s'agirait de Le sauver la vie, que je reluserais d’être républicain! Je n'ai plus qu’une idée, — idée, du reste, qui me revenait jadis de temps en temps, tu dois leu souvenir, — celle d'aller me joindre en Vendée aux braves gens qui comballent pour venger la mort de notre pauvre bon roi Louis XVI!

— Tai malheureux, lui dis-je en l'interrompant avec vivacité, est-ce que l'on tient de tels propos au milieu de la foule! Voilà des prisonniers qui semblent l'écouter avec allention.

— Qu'est-ce que cela me fait à moi que l'on m’écoute Le figures-tu par hasard que je me gène pour dire ma façon de penser ? Pas le moins du monde !

— Tu tiens donc absolument à monter sur l'échafaud ?

— Moi. ma foi, à te dire vrai, ça west à peu près égal Si Lu savais, cher ami, à quel régime alimentaire nous soi mes soumis! On ne mange pas ici, comment veux-lu que je tienne à la vie?

— C'est mal ce que tu dis là, Anselne! Ne serait-ce que pour moi, qu'on hasard si providenliel vient de te faire trouver, lu ne devrais pas faire aussi bon marché de ta pe sonne,

— Tu as raison, cher ami ; en y réfléchissant, je sens que je serais extrêmement vexé de Le quitter; mais, que veux-t je ne réfléchis jamais qu'après que j'ai parlé, ‘el quand j'ai parlé, il arrive presque loujours que j'ai dit une sotlise. Au reste, rassure-oi, mon inprudence n'est pas aussi grande que tu te la figures; depuis quelque temps, M. Robespierre a compris qu'il était stupide, au point de Vue de son intérêt personnel, de faucher les tètes à tort et à lravers, seulement pour le plaisir de les faucher, il a mis un certain ordre dans ses assassinats. Jusqu'à ce jour la plupart des victimes dé- yorées par l'échafaud appartenaient à ce que l'on appelait jadis le petit peuple, c'est-à-dire étaient des artisans ; au= jourd'bui on s'occupe davantage de la noblesse, Lrop négl gée, trouve M. Robespierre, jusqu’à ce jour. Les trois quarts au moins des prisonniers que renferme en ce moment la maison Lazare sout des prêtres, des nobles où d'anciens officiers. Tiens, donne-moi ton bras, el faisons un tour ; je vais te nommer, en (e les désignant, mes compagnons de caplivité.

— Celui-ci, reprit Anselme, est M. d'Upon, ancien maré- chal de camp et ex-noble; celui-là, M. Coessin Laberay, au ex-noble; ce vieillard est M. Montelembert, ex-marquis, capi laine au ci-devant régiment du roi; voici M. Créquy de Montmorency, M. Maldagne, ex-curé du Louvre; ce char- ant enfant de dix-sept ans, qui me sourit, est le fils du vicomte de Maillé. Je l'assure que nous sommes réellement en fort bonne compagnie. Si la nourriture élait tant soit peu supportable à Saint-Lazare, on ue voudrait plus en sortir.

Æt cet homme qui se promène à l'écart, le connais-tu ? demandai-je à Auselme en lui désignant d'un signe de tête un individu à l'air doucereux, à la démarche limide, qui passait à une dizaine de pas de nous.

— De qui veux-tu me parler, me demanda-t-il, est-ce de cel homme qui porle, quoique jeune encore, des lunettes, C'est cela même. Est-ce aussi un ex-noble?


MONSIEUR JACQUES,


— Non, me répondit Anselme en fronçant les sourei c'est un Italien nommé Manini ; mais, à propos, à quoi as-lt remarqué spécialement ce prisannier ?

_ Dame, je ne saurais trop te le dire, Je trouve qu’il ya dans l'expression de son visage quelque chose de bas et'de vil qui attire de prime abord l'attention et commande la dé fiance. Je ne prendrai jamais cet homme pour confident !

— Et lu aurais joliment raison! s'écria Anselme. Vrai ment, cher ami, je ne reviens pas de ta perspicacité ! Je ne puis concevoir que lu aies justement déniché ce drôle au beau roilieu de là foule. Moi, quand je regarde un homme mes yeux se portent tout d'abord sur ses bras et ses jambes” je me dis est-il fort? doit-il savoir donner un bon coup dé poing? ruais jamais je ne songe à examiner son visage pour essayer de me rendre compte de ce qu'il à dans le cœur! Dorénavant, j'étudierai les visages.

— Mais (u ne réponds pas à ma question ?

— Peur répondre à celle question, il faut baisser la voix, me dit Anselie en approchaut sa bouche de mon orcille : ce Manini est un espion. Je lui ai donné à entendre qu'un de ces jours je pourrais bien me passer la fantaisie de lui tordre le col. Il me craint à l’égal du feu, et me fuit comme la peste. Ne lrouves-tu pas que c'est assez adroit à moi de lui avoir inspiré celle frayeur de ma personne ?

— Gela ne servira qu’à Le faire dénoncer plus tot, il vou- dra se débarrasser de toi.

— Oui, mais en attendant i! ne s'attache pas à mes pas, et il me laisse libre de sa surveillance, me dit Auselme d'une voix Lellement basse, que quoique sa bouche fat, je le répète, placée tout contre mon oreille, je devinai plutôt sa réponse pis ne l'entendis. Or, en me laissant libre, il me pern

e travailler à l'aise à un projet d'évasion que j'ai conçu, e que je te communiquerai plus tard,

Dépuis mon arrestation, jamais l'idée de m'évader ne tait venue : aussi la confidence d’Anselme, en ouvrant pour moi un hotizon nouveau, me fi-elle éprouver une singulière émotioi

Je savais que mon compagnon, homme de détermination et de sang-froid, était doué d’un esprit trop positif pour se leurrer de fausses espérances ; son défaut d'imagination lui tenait lieu de bon sens. Au reste, Anselme, dans les dé- tails matériels de la vie, ne manquait nullement, loin de là même, de finesse et d'adresse; il en outre, le lecteur

eut s'en souvenir, d’une opipiâtrelé remarquable. Quant aux obstacles qu'il reucontrait, ils étaient pour lui plutôt un stimulant qu'un sujet de découragement. Pour opérer une évasion, il devait être un auxiliaire précieux.

Lorsque je fus revenu du premier moment de surprise que sa confidence m'avait causée, je me penchai à mon tour con- tre son oreille, et baissant le diapason de ma voix jusqu'au murmure :

— Anselme, lui dis-je, espères-tu pouvoir accomplir bien 1ôt ton projet ? Y a-t-il déjà un commencement d'exécution? Puis-je l'aider.

-— Certainement que tu peux m'aider, me répondit-il sur le mème Lon.

— Parle, je suis prêt. Que faut-il faire?

— Oublier ce que je t'ai dit, et ne plus m'adresser une seule question à ce sujet. Ignores-lu donc que les murs de la waison Lazare sont comme les carrières du tyran Denis, criblées d'oreilles ? tu n'aurais pas dû parler tout à l'heure comme dt!

— Oh! tant qu'il ne s'agit que d'exprimer ses opinions il n'y à pas de danger. Sur les huit cents détenus que renferme notre prison, huit cents maudissent leurs bourreaux! Et puis, après lout, n0S imprécalions ne sont pas aussi désa- gréables aux guichetiers que tu pourrais le supposer. Elles leur prouvent qu’ils ont atteint leur bul : que nous Sommes horriblement malheureux! À présent, reprenons notre con- versalion à haute voix; nos chucholemeuls pourraient être remarqués.

Quoique ma curiosité, ou, pour étre plus exact, quoique mon intérêt fût excité à un haut degré, je dus reconnaitre