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MONSIEUR JAGQUES. at

lègues en médecine, qu’une femme qui se déclarait enceinte devait être crue sur parole, et que les officiers de santé ne pouvaient prononcer définitivement sur son état de grossesse qu'après quatre mois et demi à cinq mois révolus; et qu'il avait enfin forcé le conseil à prendre un arrêté conforme à la décision de la Faculté. -

Grâce aux soins qui m'étaient prodigués, je marchais à grands pas vers la convalescence; je m'étais déjà levé plu- sieurs fois, et je sentais mes forces revenir de jour en jour, lorsqu'un affreux événement vint arrêter court ma guérison et me replonger dans un abime de souffrance,

Depuis environ une semaine, Bayard, qui d'ordinaire apportait un visage gai et souriant dans ses rapports avec. nous, élait devenu sombre, taciturne, et ne pouvait parvenir à nous cacher, malgré ses efforts, la profonde tristesse qui s'élait emparée de lui.

Un matin qu’il m'apportait une lettre d'Anselme avec qui,

râce à sa bonté, j'étais parvenu à me mettre en correspou- Fi je pris la liberté de l'interroger sur le changement qui s'était opéré en lui.

— Mon bon ami, me répondit-il, car il m'avait pris en grande affection, je ne vous dissimulerai pas que je suis bien tourmenté, bien inquiet. Une ligue s’est formée contre moi : trois de mes collègues, Naury que vous connaissez, el deux autres chirurgiens nommés Enguchard et Thiry, ont résolu de m'enlever la direction de mon département ; je tremble qu'ils ne réussissent! Que deviendraient alors mes pauvres malades! Je n'ose m'arrèler à cette idée qui me fait frémir. +

Hélas! Bayard ne se trompait pas. Le lendemain même du jour où il m'avait fait celle confidence sous le sceau du secret, il fut destitué. Jamais je ne l'ai plus revu de ma vie; mais jamais non plus, je le répète, mon cœur ne perdra le souvenir de Ja reconnaissance que je lui dois.

Ce fut l'officier de santé Enguchard qui remplaça notre pre et notre sauveur, comme nous appelions Bayard.

Enguchard, qui dans Je temps avait été chassé de plusieurs hôpitaux, et notamment de celui de Compiègne, ressemblait,

de tournure et de figure, à ces charlatans habillés en hus- sards que l'on trouve sur les trélaux des foires. Jamais je n'ai connu un homme aussi ignoble que lui. C'était la scélé- ralesse en chair el en os, Il était, du reste, l'intime ami de -Tinville !

L'arrivée de l'assassin Enguchard, — car je ne trouve pas d'autre expression propre à le désigner, — ne tarda pas à porter ses fruits : la mortalité, à peu prés nulle jusqu'à ce jour dans le département de Bayard, s’acerut avec une effroyable rapidité, et ne tarda pas à prendre des propor- tions immenses, Quelques détenus de la Conciergerie, frap- pés d'une maladie contagieuse qui s'était déclarée dans celle prison, détenus que l'on nous amena, vinrent en aide au zèle d'Enguchard, en nous apportant l'épidémie dont ils élaient atteints.

L'Hôtel-Dieu se trouva donc, au bout de peu de jours, tellement encombré de malades, que l'on dut songer à en transférer une partie dans un autre hospice, qui servirait comme de supplément au premier. On choisit pour cet éla- blissement la maison du ci-devant Evêché.

— Mon cher ami, dis-je à Veyrier, l'ex-procureur de Sédan avec qui je m'étais lié d’une amitié étroite, Bayard - m'ordonnait, vous le savez, une nourriture fortifiante et tonique, beaucoup de tranquillité et un exercice modéré ; or, Eoguchard m'a mis à la diète absolue, veut que je garde le lit et parle de me saigner soir et malin ; je vais donc profi- ter de l'établissement du nouvel hospice pour me soustraire à la fureur de cet assassin. «

Si vous voulez en croire mes conseils, vous suivrez mon exemple. Plus vous changerez de résidence, plus vous ferez perdre vos traces et mieux cela vaudra pour vous. La vie lient à si peu de chose aujourd'hui, qu'une simple précau- tion peut, parfois, sauver un homme. Que l’on vienne vous chercher’ici une cinquième fois, et que l’on ne vous y trouve plus, on prendra une autre victime à votre place el l'on ne songera peut-être plus à vous. 4

— Oui, vous avez raison, me répondit Veyrier, d'autant plus que je partage complètement l'opinion générale, qu'En-