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dans mon espril. Le spectacle des herribles souffrances el de l'épouvantable agonie de l'infortuné qui rûlait à mes côtés, était pas certes un fait de nature à me rassurer !

Aussi, lorsque l'heure de la distribution venue, on apporta aux malades, non encore alités, leur soupe, je ne réclamai pas contre l'oubli daus lequel on me laissait, je voyais du poison partout, : :

Ji était fort tard lorsque-enfin, vaincu par ma faiblesse, je parvins à fermer les yeux, le reste de la nuit en proie à un horrible cauchema

Al faisait à peine jour le lendemain quand on me réveilla brusquement, C'était le chirurgien Naury qui passait sa vi- site, Je me rappellerai toujours l'expression basse et cruelle de son visige, 61 la façon brutale dont il m'interroges reviennes, me dit-il én ricanant ; glée, et tu peux songer à prendre


me semble ton passeport.

Se retournant alors vers un infirmie registre à la main, pour prendre note ardonnait :

= Deux saignées anjourd'hni, ai dit, une ce matin, l'autre ce soir : diète absolue, et de la tisane.

Le chirurgien Naury passa alors au lil ocenpé par le mol- heureux que j'avais va la velle pris de si Lerribles vomisse= meuts, et lui lâtant le poul

— Gel va beaucoup mieux! s'éeria-t-il aveo nn étonne- ment extrème, C'est vraiment Singulier. Allous, il faut con- tinuer : deux saignées, diète absolue et beancdup de tisane,

— Mais, docteur, dit le gardien chargé de la surveillance des numéros que nous oecupions ,.le malade d'hiër est mort celte nuit, ete’est Un autre que vous venez de voir...

—Ah!-très-bien.…. Aussi je m'élonnais.. Eh bien, la prescription reste la même ; répondit le bourreau en conti- nuanl son chemin.

Quant à moi, depuis que je m'étais entendu condamner à la saiguée et à la tisane, j'étais tombé dans un affreux déses- poir, car cette condamnation équivalait pour moi à celle de la peine capitale. Seulement, je me trouvais bien moins de courage en face de l'exécütion ténébreuse qui m'att } que je n'en aurais trouvé dévaut le tribunal révolutionnaire,

Mourir a grand soleil , en publie, avec des compngnons d'inforlune pour vous soutenir el vous donner l’exes m'élail rien à celle époque. Je m'étais familiarisé dep longtemps avec l'idée de la guilloline, que lu vue de | faud, j'en suis pérstadé, ne m'aurait causé qu'une émotion : mais être assassiné petit À pelit, au milieu d'a troces souffrances, w'olfrait une perspuelive au-dessus de ma résignalion : je résolus donc de me révoller et de rèfu- ser d'obéir,

Lorsque l'assassin patenté ent terminé sa visite, plusieurs de ses élèves, armés de Janceties, entrèrent daus la salle pour exécuter ses ordres homicides,

Qu'allez-vous faire mé dit mon voisin de lit, qui la veille m'avait si géuéreusement averti du danger que je courais,

— Résister jusqu’à ce que l'on me tue sur place! lui ré- poudis-je.

Si l’on devait vous luer, je vous appronvereis, reprit-il, on se contentera de vous lier solidement les bras elles jaubes, el de vous saigner malgré vous, Ces assas Tec< teut de respecter la légalité, et n'osent pas empiélér fran chement sur les attributions du bourreau, 1ls se donnent paur des médecins, 84 sont censés sauver les. malades, ÆEcguiez, j'ai uue idée.

Parlez vite, n° nolre rangée de lits,

— Joseph ! mon ami Joseph ! dit alors mon nouveau ca- marade sans me répouire, el ex s'adressant à un goyçon de salle qui passait prés de nous.

L'infirmier, ainsi appelé, s'approcha du lit de mon cama- rade qui, me désimaut à lui par un coup d'œil :

— Sauve-le, lui dits, c’est un hounête homme qi, s'il recouvre jamais sa liberté, Le récompensera généreustinent


qui le suivait un prescriptions qu'il


je, voici que l'on approche de


MONSIEUR JACQUES.

—© —

L'infrmier Joseph hésita un moment, mais prenant bien- tt son parti :

— Je le veux bien, dit-il,

— Alors il me prit le bras et m'appliqua dessns une ligas dure ensanglantée, qui venait de servir sans doute à un maz lade mort pendant l'opération de la saignée,

— Voici que l'on vient, me dit-il à voix basse, fais sem- blant de te trouver mal,

J'obéis. A peine étais-je renversé sur mon lit, mes yeux fermés et dans une immobilité complète, qu'un des élèves de Naury arriva près de mon lit.

— Est-ce que cet homme à élé saigné ? demanda-t-il à Jo- seph.

5 Tu le vois bien, ciloyen, lui répondit le gardien.

L'élève, sans songer à s'assurer du plus ou moins de vé- rité de celte assertion, — au reste, il devait être sans soup= Çou el sans défiance, — n'insista pas et conlinua son che- min,

— Jusqu'au soir, tu n'as rien à craindre, me dit Joseph ; seulement aie bien soin de ne pas prendre un seul des média ments que lon pourra l'apporter... et surtout, malgré ta soif, ne bois pas de tisane. anges 36 ne puis me rendre compte aujourd'hui comment je fis alors, dans mon déplorable état de santé, pour résister à toutes ces émolions poignantes; quoique l'échafud. m'ait épargné, je n'en regarde pas moins come un miracle d'être encore eu vié |

Je fus témoin, dans le courant de la journée, d'un fait odieux, et auquel je me refuserais d'ajouter foi, si je ne l'avais pasva de.mes propres. yeux. Un piquet de troupes révolutionnaires, — c'est-à-dire.unesvingtaine de bandits armés de piques, de sabres, de haches el de massues, vint chercher, pour les conduire devant le tribunal présidé par l'infâme Fouquier-Tinville, six malades de notre salle qui étaient cités à comparaltre, Ges malades, Lous les six en proie à un affreux délire, furent. arrachés de leurs lits, jetés deux à deux sur trois éroiles civières el amenés à moilié nus au tribunal, Nous apprimes plus tard que condamnés à murt le jour mème, ils avaient été suppliciés le lendemain 1.

Je reviens à ma lamentable histoire.

Craignant que l'infirmier Joseph ne püt me rendre, le soir, le même service qu'il m'avait déjà rendu le malin, 'est- ä-dire, m'empêcher d'être saigné, j'étais plongé dans une inquiétude mortelle, lorsque j'aperçus passer près de mon litun homme dont la mise soignée et la physionomie pleine de bonté ie frappèrent. né

— C'est le chirurgien Bayard, me dit mon voisin de lit; appelez-le, votre salut est entre ses müins ! me fs pas répéter celte invitation,

— Citoyen Bayard, m'écriai-je, venez, je vous en con- jure, j'ai à vous parler. 1

Le chirurgien, en entendant prononcer son nom, s'arrêla court, et, regardant autour de lui, il m'aperçut lui faisant des signes el s'approcha aussitôt de moi,

— Comment me connaissez-vous el Que me voulez-vous, ton ami ? me dit-il.

— Je vous connais comme un homme vertueux et bienfai- sant, el je veux comme {el que vous w'empéchiez d’être assassiné, lui dis :

— Comment cela, que je vons empêche d'être assassiné ? répéla-t-il en me considérant avec attention,

— Oh! je n'ai point le délire, lui répondis-je en devinant Sa pensée; je ne. m'exprime, hélas! que trop en connais- sance dé cause, Jugez-n par vous-même. Ma poitrine est horriblement délabrée par l'air méphilique que j'ai respiré depuis que j'habite les cachots, ainsi que ‘par le détestable régime alimentaire re él8 soumis... Je ne fais que cracher le sang, et voila que le chirurgien Naury m'ordonne à ï par jour, une diète absolue et beaucoup da tisane! N'ai-je donc pas le droit de prétendre que”Von veut m'assassiner et raison de sous suppler de me sutver?

— Oui, vous avez raison, me répondit-il


ï ès un mM0- went de Silence, l'appui que l'om se doit entre collègues ne m'empêchera pus d'avouer que le docteur Naury est un in-