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MONSIEUR JACQUES.

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temps qu'il a à vivre, leur répondil-il; j'ai déjà vu plusieurs détenus dans cel état, eL ils sont tous morts. “

Un jour, —c'était, si je ne me trompe, le septième de wa maladie, — un jour que la fièvre qui me brûlait le sang m'avait redônné quelques forces, j'écrivis deux lignes à An- selme pour lui faire mes adieux, Dans la même journée, je confiai à l'un de mes compagnons, que l'on vint chercher pour le conduire au cabinet d'un juge d'instruction, lout l'argent qui me restait de mes vingt-cinq louis, avec prière, si on ne Le renvoyait plus au secret, de remeltre ces fonds à Anselme,

Le lendemain, à l'heure de la distribution, deux guiche- tiers me prirent pres les bras, et, me plaçant sur mes pieds, m’ordonnèrent de les suivre; j'étais si faible, que, malgré ma bonne volonté, je ne pus leur obéir, et si indifférent à la vie, que je ne songeai même pas à leur adresser une question.

A la porte du cachot se trouvait une civière: on me jeta plutôt que l’on ne me plaça dessus, et l’on m'emporta.

Je tenais, je le répète, tellement peu alors à la vie, que je ne me livrai à aucune conjecture; n'élais-je pas assuré, quelle que fût ma nouvelle position, de ne pas avoir à re- grelter mon cachot? ?

Ce fut à l’hospice national (anciennement l'Hôtel-Dieu) que l’on me conduisit, Je n'eus besoin que d'une demi-heure pour apprécier au juste ma nouvelle demeure. Des grilles, des verrous, des guichets, des maçonneries propres seule- mentà obstruer l'air, la transformaient en une bastille me- naçante,

— Où faut-il déposer ce fédéraliste? demanda un de mes porteurs en s'adressant à un inbrmier.

— Dépose-le où tu voudras, répondit brutalement ce dernier, là, par terre, dans ce coin!

— N'y atsil pas de lit vacant ?

— Pas un seul? mais nous avons trois ou quatre gredins qui se trouvent à toule extrémilé eL qui vont laisser des va- cances, On donnera au fédéraliste le li du premier qui mourra.

Mes porteurs, désireux de se débarrasser de leur fardeau, relournèrent alors sens dessus dessous ivière, et, me laissant tomber par terre à la place que 1 désignée, s'enfuirent sans s'occuper davantage de moi.

Pendant le trajet de l'Abbaye à l'Hôtel-Dien, et quoiqu'on eût placé une vieille toile de matelas sur moi pour me déro- ber à la curiosité de la foule, j'avais respiré un peu d'air, et cela seul avail suffi, sinon à améliorer ma position, au moins à me redonner le sentiment de la vie.

J'appelai done un gardien qui passait près de moi, et d'une voix suppliante :

— Gitoyen, lui dis-je, prends pitié de ma souffrance; je suis un malheureux oflicier qui vient de combattre l'ennemi à la frontière et qu'une indigne ingratitude a jeté dans les fers. Je-n'ai plus, je le sens, que peu de jours à vivre, pro- cure-moi, je en supplie, un Lit pour que je puisse au moins mourir à mon aise,

ï Gete prière ne fut pas inutile, car elle attendrit le gar- ien.

— Ne te désole pas ainsi, me répondit-il, je vais m'oc- cuper de loi.

En effet, cinq minutes plus lard, il revint me trouver, et, me soulevant dans ses bras, il me trunsporta dans un lit que la mort de celui qui l'occupait venait de rendre vacant,

J'élais tellement brisé de corps, par suile du loug séjour que j'avais fait dans mon cachot, que je n'éprouvai aucune répugnance à occuper la place tiède encore de mon prédé- cesseur : Je bien-être l'emportait en moi sur le dégoût.

A peine couché, je m’endormis d’un profond et bienfai- sant sommeil; lorsque je me réveillai deux heures plus lard, je wie trouvai beaucoup mieux; je songeai alors à examiner mes nouveaux compagnons d'infortune,

Dans le lit placé à gauche du mien, — lit dont j'étais séparé à peine par une distance d'un demi-pied, — agoni- sait un jeune homme ; le malheureux, les yeux hagards et


injeclés de sang, était en proie à des convulsions et à des vomissements épouvantables; je compris, au premier coup d'ail, que c'était un homme perdu ; le malade couché à ma droite présentait un mois trisle tableau; il me sembla en voie de guérison. Ge fut naturellement à lui que j'adressai la parole, L

— Citoyen, lui dis-je à voix basse, afin de ne pas appeler Yattention des gardiens, notre camarade de gauche me sem- ble dans une position désespérée; je douie qu'il en ré- chappe, Y ail longtemps qu'il est malade?

— On l'a apporté ici avanl-hier, me répondit-il,

— Déjà fort malade, sans doute ?

— 11 était, au contraire, tellement peu souffrant, que j'ai élé étonné de le voir admettre, C'est à partir de son pre- mier verre de tisane qu'il a élé pris de ces vomissements terribles,

= Voilà qui est singuliér, dis-je lentement et sans oser formuler l'affreux soupçon que celle réponse éveilla dans mon esprit.

— Singulier! répéta mon voisin de lit, mais nullement ! La plupart des malades meurent en proie aux convulsions et aux vomissements qui les saisissent toujours peu de terhps après leur entrée à l'hospice national! C'est un fait connu de tout le monde.

— Vraiment! Savez-vous bien que ce que vous m’appre- nez là me donne l’idée de ne pas boire de tisane !

— Eh ! eh ! votre idée n’est peut-être pas mauvaise,

— Vous croyez! Ecoutez, cher camarade, repris-je après un moment de silence, j'ai un père el une mère qui m'ai- ment, une fiancée qui m’altenä, des liens qui me rattachent à la vie, el quoique j'aie, jusqu'à ce jour, exaspéré par les souffrances, invoqué la mort, je sens, au moment où elle semble venir à mon appel, que je voudrais bien lui échap- per. Je suis, au reste, un honnête homme, incapable de vous Lrabir; parlez-moi sans crainte : croyez-vous que je doive refuser les médicaments qui me seront offers?

Mon voisin de lit hésila un moment avant de me répon- dre, puis, prenant enfin son parti :

— Eh bien oui, camarade, me répondit-il fort vite en baissant la voix, je vous conseille de ne toucher à aucun médicament |

— Quoi! oh! mais cela serait affreux!.. Vous croye:

J'ai dit tout ce qu j'avais à vous dire, me répondit. en m'interrompant, Vous m'obligerez beaucoup en ne m'a- dressant plus aucune question à ce sujel !.…

— Merci, mon ami, je vous obéirai. Apprenez-moi seu- lement, je vous en prie, comment il est possible de concilier voire convalescence avec votre aveu.

— Je suis le débiteur de l'officier de santé Naury, me ré- pondit-il, et il a permis à la nature de me sauver !.. Le ci- loyen Naury aime par-dessus tout l'argent! Mais parler me fatigue ; laissez-moi dormir à mon aise.

— Je vous promets de ne plus vous déranger; mais au nom du ciel, je vous en conjure, apprenez-moi ce que je dois faire pour éviter le sort affreux dont je suis menacé !

— Tâchez de vous faire meltre dans le département du citoyen Bayard.

— Qu'est-ce d’abord que le citoyen Bayard ?

— C'est le chirurgien-major de la section de l'Indivisibi- lité, rue Louis. Il jouit dans le Marais d'une grande réputa- tion d'honnélelé el de bienfaisance, qu'il mérite parfaite- ment, Au reste, une remarque que l'on est à même de faire est celle que contre vingt-cinq morts qui ont lien dans le dé- parlement du chirurgien Naury, on en compte à peine une dans la salle de Bayard! Tiens voilà un surveillant qui me semble pu bien Souvent devant nos lits, par conséquent je vais dormir.

Mon voisin se retourna aussitôt du côté opposé au mien : bientôt le bruit produit par: sa respiration égale et cadencée me prouva qu'il avait trouvé un oubli momeutané à ses maux dans le sommeil.

Le lecteur concevra sans peine les lugubres réflexions que. la confidence que je venais de recevoir avait éveillées