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EUR JACQUES.


Je m'étais lrainé centre la porte, et l'oreille avidement

tendue j'essayai de saisir le moindre bruit du dehors au assage. Hélas! autour de moi réguait le silence du tom- CAL,

Je suis encore à me demander comment je ne succombai pas à mon désespoir, lorsque je vis arriver la nuit, sans que rien autour de moi donnàl signe de vie, sans qu'aucun indice me pernit de peuser que l'on ne m'avait pas lotalement oublié.

L'idée me vint que, n'osant pas me traduire devant un tribunal , où il m'eût été facile d'établir mon innocence, on s'élait résolu à me laisser mourir de faim!

Celte pensée fit bientôt en moi de ides progrès, que je ne tardai pas à être intimement, fermement convaincu que je me trouvais dans une espèce d'in pace où d'ou bliette, Alors furieux, hors de moi, n'ayant plus de ména- gements à garder, je me mis à pousser des eris déchirants et à appeler au secours. J'espérais, par ce moyen , ineuler mes compagnons d'inforlune, el les pousser à opérer par la force ma délivrance.

Hélas! mes cris affaiblis eL tes de mon cachol cessi connaissance sur le sol.

Il faisait grand jour lorsque je me réveillai, ou, pour être plus exact, lorsque je revins à moi ; ce futune violente se cousse qui’me rappela à la vie. Le premier objet que j'aper- çus en ouvrant les yeux fut le visage féroce dé mon guiche- lier.

— Eh bien, me dit-il, il parait que la cuisine de l'Abbaye n’est guère de volre goût, vous n’avez pas louché à vos pro visions. :

Le fait est que les rats dédaignant l'horrible pain que l'on m'avait donné, l'avaient laissé intact; il faut dire qu'en re- tour ils ne s'étaient pas fait faute de rogner mes bottes et de déchiqueter le drap de mon habit.

— Mon ami, répondis-je au guichetier en le regardant avec des yeux suppliants, vous m'ofririez en ce moment un somptueux diner que je vous refuserais. Je sais que je n'ai plus que peu de moments à vivre. Je ne vous demande qu'une seule chose, c'est de me donner de l'eau et de ne pr me quitter! Je ne voudrais pas mourir seul et aba donné! Oh ! restez, je vous en prie!


arhés par les épaisses voi eut bientôt : je tombai privé de



Ma prière parut faire une certaine impression sur le cœur

de bronze du guichetier.

— Voyons, camarade, me répondit-il, il ne faut p laisser abattre pour si peu. Tous les prisonr que j'ai fermés dans ton eachot ont plus où moins été visités par la fièvre, et pourtant je n'en ai vu mourir, sur une vingtaine, que trois en tout. Il faudrait vraiment que lu n'eusses pas de chance pour être le quatrième, Quant à Le tenir compa-

nie... bee w'exige pas que vous me leniez compagnie, lui dis-je en l'interrompant, mais je demande au mous que vons ne resliez pas deux jours el deux nuits entiers sans venir me voir.

— Est-ce que mon camarade ne l'a pas visité hier?

== Depuis quarante-huit heures, je suis seul!

— Ah! je comprends! nous avons loules les décades un jour de congé, et mon suppléant aura oublié hier que j'étais sorti! Eh bien, voyons, je te dédommagerai de sa négli- gence par une doublé ration. Inutile donc, si le concierge se rend par hasard dans ton eachot, que tu lui parles de cet oublil.. je ne suis pas aussi méchant que je le parais, je vais neltoyer La crache et la remplir d'eau fraîche,

Le guichetier s’en fut alors el revint cinq minutes plus tard avec la boisson promise. Je m'empara avidement de la cruche et je bus à même, el sans reprendre haleine, Ja va- leur d'au moins une dizaine de verres, Une fois que eus calmé la soif ardente qui me dévorail, je sentis un grand soulagement s’opérer en moi; je retronvai une partie de mes forces.

— À demain, me dit le guichetier en se dirigeant vers la porte ; ne l’impatiente pas, je tâcherai d'être exact,

Les trois horribles nuits que je venais de passer se repré-


senlérent alors avec une lelle vivacité à mon esprit, l'idée que j'allais me retrouver seul me produisit une telle impres- sion, qu'en proie à un vertige sans nom je me levai d'un bond, el saisissant la cruche que j'achevais de vider à moitié, je me précipilai entre la porte et le guicheticr, et d'une voix éclatante :

— Si lu ne m'emmênes pas avec loi, je te tue ! lui criai-je en grinçant des dents,

— Ah! c'est comme cela que tu essayes à le mettre dans mes bonnes grûces, me répondit-il en pâlissant : altends un peu, misérable !

A peine eut-il prononcé ces paroles , que d'un geste plus

furieux que bien caleulé, heureusement pour moi, il me lança au visage l'énorme trousseau de clefs qu'il portait à la main, La masse de fer m'effleura en passant et fut rebondir avec fracas contre la porte du cachot. J'aime mieux tre tué d'un seul coup que de mourir à petit feu, m'écri Va done pour la bataille! Alors, malgré mon épuisement physique et avec une force qui me venait de la fièvre, je me précipitai sur le guichetier en brandis sant ma cruche. Le misérable ne s'attendait pas à trouver celte énergie en moi ; déconcerté el remblant, il n’eut que le temps de se jeler à mes genoux. Devant cette lâchelé, ma colère Lomba.

— Je veux bien te faire grâce de la vie, lui dis-je, après avoir joui, pendant quelques secondes de’son huniliation ; mais à une condition , c'est que Lu vas me faire sortir de ce cachot et me conduire dans la prison commune.

— Je te le promets, me répondit-il ; marche, je Le suis.

Je ne me fis pas répéter deux fois cette invitation : je me précipitai, fou de joie, hors de mon cachot. Devant moi, je trouvai trois énormes portes qui n’élaient pas, par bonheur pour le guichetier, fermées à clé, mais seuleient poussées contre le mur, car je suis persuaié que si, dans mon état d'exallation, j'eusse soupçonné un piége, c'en était fait de ce misérable ; je lui aurais fendu le crâne. Ces trois portes, sé- parées les unes des autres par une faible distance, m'expli- quèrent le silence qui régnait dans mon cachot ; aucun bruit, du dehors ne pouvait, interceplé par ces épais obstacles, Y arriver, L

Quelle fut ma joie lorsqu'après avoir franchi un long cor- ridor je me trouvai au milieu de la foule des détenus. Mon apparition si inattendue produisit sur mes compagnons d'in- fortune un étonnement dont je ne puis donner une idée; en effet, celte espèce de spectre qui, les yeux brillants de l'é- elat de la fièvre, le bras armé d’un morceau de grès, la barbe longue et les vêtements en lambeaux, accourail comme un fou, suivi par un guichetier pâle et tremblant, présentait un singulier tablenu.

Aussitôt mon arrivée je fus donc entouré par la foule des détenus; les questions. pleuvaient sur moi de tous côtés, mais, hélas ! ma colère et par conséquent la force fébrile et factice, qui m'avail soutenu jusqu'alors, m'abandonna, et sans pouvoir prononcer une seule parole, je tombai par terre de toute ma hauteur et sans connaissance.

x


Lorsque je repris mes sens et que je rouvris les yeux, je vis quej étais dans un salon bizarrement décoré d'objets d'uné nature tout à fait disparate : des pipes hongroises, des tapisseries de fleurs, des métiers à broder, des chevalets en bois des Îles, des caves À liqueur, des fauteuils de toutes les formes et de toutes les nuances, des arbustes renfermés dans des caisses peintes, des éventails à moitié ouverts et qui devaient être de prix, des vêtements recouverts de ri- ches fourrures, etc., ëlc., encombraient, dans un pèle-mêle iudescriptible, la salle où je me trouvais. »

Enfin, assis devant une table chargée de’mille menus objets, se tenait, à moitié renversé dans un moelleux et vaste fauteuil, un gros homme, dont le visage d’un rouge écarlate et 1e regard alourdi, "si je puis m'exprimer ainsi, étaient loin de prouver en faveur de sa tempérance. Le gros homme tenait dans la maiu gu verte de cristal de Bohéme à