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MONSIEUR

JACQUES. 20


triste histéire : poir. É Le quatorzième jour depuis mon entrée dans la ‘section des politiques, j'étais occupé à prendre des notes sur ma tie, lorsqu'on viut avertir que j'eusse à me préparer

partir. É

En vain j'interrogeai le guichelier, en vain je lui promis, s'il voulait répondre à mes questions, de lui remettre le peu d'argent qui me reslail de mes soixante-quinze livres , il fut iuflexible et s’obstina à garder un opiuiâlre silence.

Mon paquet lerminé, el ce soin ne me demanda guère de

car lout mon bagage se composait de trois Chemises

mouchoirs, que j'avais achetés à un de nos compa- nfortune, je fus prendre congé de Rioule. Nous âmes les larmes aux yeux.

mademoiselle Marie devint folle de déses-


guons nous cmbra: je

-— de devine la cause de notre séparation, me dil-il en m'accompagnant jusqu'à la grille, c'est votre oncle qui,


craigount de vous voir compris dans les nombreuses four nées de la Conciergerie, a demandé sans doute et obtenu votre translation dans une autre prison! Ne perdez done pas pare ! que Dieu vous protége, nous nous relrouverons peut-être dans des temps meilleurs,

Ce vœu de Riouffe ne devait Fe être accompli ! Tous les deux, après avoir vu la mort de bien près, nous fümes, il est vrai, rendus plus tard à la-liberté ; mais, séparés par les événements et par les distances, jamais plus nous ne devions nous serrer la main.

Qui m’eût prédit à la Conciergerie que je regretterais plus tard son affreux séjour eüt amené un sourire d'incrédulité sur mes lèvres, el pourtant il était écrit dans ma desli- née que la Conciergerie devait être mon paradis des pr sons.

Ce fut devant l'Abbaye que s'arrêta la voiture grillée et cadenassée aux portières, qui me transportait. Je ne puis dire l'impression d'horreur que me fit éprouver la vue de ces murs sombres el encore leiuts du sang des victimes massa- crées daus les journées des 2 et 3 septembre! Je ne pus m'empêcher de maudire le zèle intelligent de mon oncle.

Ma réceplion à l'Abbaye ne fut pas au-dessous de ce que

j'alleudais. Je dus passer par une visite aussi complète qu'humiliante; seulement on me laissa le peu d'argent, — environ vingt-sept livres, — qui me restait. Allons! suis-nous, bandit, me dit un guichetier en me saisissant rudemient par le collel de mon habit, — je devine, à ton restant d’uniforme, que tu cs un traître à la patrie que nos représentants nous envoient de l'armée? Je saurai te faire payer cher la trahison ; tu verras |

Le guichetier qui me malmenait ainsi exhalait de toute sa personne uné Lelle odeur d’eau-de-vie el de vin, que, quand bien même sa marche n'eùt pas été, comme elle l'était, chancelante et irrégulière, je ne m’en serais pas moins aperçu du déplorable état dans lequel l'avait mis la boisson. Je ju- geai CS propos d'accepter ses insultes sans ÿ répondre,

Le cachot dans lequel il me poussa n'était guère préfé- rable à celui où l'on m'avait jeté lors de mon entrée à la Conciergerie; seulement, il y faisait ples clair ; à la rigueur, il était possible, en s’approchant de la fenêtre, de lire, au bout d’un certain temps, quelques lignes d'écriture,

Le mobilier de ce cachot se composait d'une table v moulue et dégoülante de malpropreté, d'un amas de vieille paille hachée et d’un méchant grabat soutenu par une san- gle à demi déchirée.

La nuit venue, et j'étais arrivé à l'Abbaye vers midi, je me couchai sur mon grabat, mais hélas ! ma plume répugne à retracer ce détail, mon corps fut alors envahi par une si prodigieuse quantité de vermine qu’il ne présenta plus bien- Lôt qu'une seule et unique plaie, L L

Je laisse à penser au lecteur la nuit que je passai, ce fut un supplice sans nom. Je me rappelle encore avec un fré- missemient douloureux l’horrible-apprélension que j'éprou- Vais lorsque, vaincu par la fatigue, j'étais contraint, je ne puis dire deme reposer, mais de m'asseoir sur mon graba Je ne crois pas que jamais patient livré aux tortures de l'in. quisilion ajt passé par de plus atroces souffrances |

— Plusieurs fois, bondissant avec fureur de dessus mon afïreuse couche, je me précipitais en me roulant sur le plan- cher; mais alors un autre ennemi, non moins redoutable que la vermine, m'allaquail ; je veux parler de rats énorm el affamés qui, loin d’être épouvantés par mes mouvements et par mes cris, semblaient croire que l'on m'avait livré à eux pour leur servir de pâlure. et ,

Vingt-quatre heures s'écoulèrent, qué dis-je, un siècle se passa Sans.qu'aucun bruit parvint à mes oreilles : l'énorme porte de mon cachot, immobile sur ses gonds de fer, me paraissait une pierre lumulaire placée sur mon tombeau. J'avais peur !

Enfin des aboiements retentirent dans le lointain : j'en- tendis le pas cadencé d'une troupe d'hommes armés ; et peu après je vis apparaître un guichetier. liens, traître à la patrie, me dit-il, voilà une crache remplie d'eau pour boire à la santé des satellites étrangers : voici aussi un morceau de pain : ce n’est pas trop régalant, mais c’est encore mieux que tu ne mérites.

Ne pourriez-vous pas me procurer une chaise? m'é- avec précipilalion en voyant le guichetier prêt à s'éloigner.

— Une chaise? s'écria-t-il en éclatant de rire, Excusez un peu. Monsieur est un aristocrate! Pourquoi pas me deman- der, par la même occasion, un fauteuil de velours et des »i- deux de soie ! Ne faut-il pas non plus que je vous apporte, demain, un poulet rôti el deux bouteilles de bordeaux pour voire déjeuner? Parole! ces gredins de traitres ont une iw- pudence qui vous donne envie de leur briser les os.

Le geôlier, après celle réponse polie, referma brutale- ment la porte el me laissa de nouveau seul. _.

Ah! quelle terrible chose que l'isolement absolu. Avec quelle joie j'eusse accueilli alors l'assassin Pampin, si on ie l'eüt donné pour compagnon de captivité!

Depuis vingt-quatre heures, c'est-à-dire depuis.mon dé- part de la Gonciergerie, j'étais complètement à jeun ; je me résolus, lorsque mon guichetier se fut éloigné, à prendre un peu de nourriture. Je ramassai le morceau de pain noir qu'il avait déposé Par terre, mais ce pain était tellement gluant ec iufecl que je ne pus me décider à en faire usage. Dix fois de suile je l'approchni de mes lèvres et chaque fois le dé- goûl l'emporta en moi sur la faim; désespéré, je finis par le jeter avec fureur contre le mur.

Quant à la cruche que l'on m'avait apportée, l’intérieur coutenait plus de toiles d'araignées que d'eau, une gorgée que je voulus boire me prouva que cette eau n'avait pas dû êlre changée depuis des mois ; son odeur fétide, assez sem- blable à celle qu'exhalent les marais boueux, me découra= gea dans cette seconde tentative, Je jelai la cruche loin de moi, comme j'avais déjà fait pour le pain, et j'essayai de w'endormir,

J'étais tellement exténué et affaibli que, malgré la dévo- rante armée de vermine qui s'acharnail après mon corps, je parvins cependant à prendre quelques heures de sonate mais une fois que l'obscurité eut envahi mon cachot, les rats qui m'avaient si fort incommodé la veille, revinrent plus nombreux peut-être el aussi plus entreprenants encore qu'ils ne l’étaient la première fois.

Je passai donc la plus grande partie de la nuil me pro- mener de long en large dans mon cachot. Dieu sait si cette nuit me sembla longue, et ce que j'eus à soufrir ! Heureuse- ment qu'une fièvre violente ne tarda pas à s'emparer de mo car avec la fièvre vint le délire, et avec le délire l'oubli du présent.

La figure rébarbative de mon guichetier, je me rappelle encore celle pénible impression comme si elle ne datait que d'hier, dominait mon délire et m'apparaissait dans une ef- Ge fantasmagorie,

h bien! le lendemain, lorsque je recouvrai, à la suite de celle violente allaque de fièvre, un peu de raison, ma pre- mière pensée fat pour désirer la présence de mon guiche- tier. La complète solitude qui m’enveloppait me paraissait bien autrement pénible à supporter que la vue de mon bour-


eau