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28 MONSIEUR JACQUES,


écrites à dessein, et dans lesquelles elles protestaient de leur ardent amour à la royauté, Vingt-quatre heures plus lard, leurs souhaits homicides se trouvaient accomplis : elles n'étaient plus !

Parmi les détenus possédés de celte monomanie du sui cide, se dislinguail surlout un nommé Gosnay, mon voisin de table. Gosnay pouvait avoir vingt-sept ans; il avait été autrefois grenadier dans le ci-devant régiment d'Artois, d'où il était passé aux hussards de Berchiny : il se trouvai à la Conciergerie comme prévenu de tentative d'émigration ; c'était Ronsin qui l'avait fait arrêter à Ghälon-sur-Sadne, el transporter à Paris.

La lâcheté, ou, pour être plus exact, l'espèce de vertige qui avail poussé l'armée à abandonner la cause de la royauté pour embrasser le parti de la révolution, avait produit une impression ineffaçable sur l'esprit de Gosnay ; il se croyait déshonoré et voulait à toute force en finir avec la vie; nous avions toutes les peines imaginables à l'empêcher d'accom- plir son funeste projet, et nous exercions sur lui, car tout le monde l’aimait, une incessante surveillance.

A celle pensée tenace de suicide près, Gosnay était un jovial compagnon, au possible : ses manières affables, son égalité de caractère, sa gaîlé douce et inaltérable le faisaient rechercher de chacun. s

Nous nous aperçümes un jour, dans l'après-midi, que de- puis le matin il n'était pus sorti de sa chambre. Nous crû- mes qu'il avait accompli son funeste projet, et, pleins d'ir quiétude, nous nous précipitämes à sa recherche dans son eachot. Gosnay, lorsque nous enträmes, se tenait assis, les jambes croisées sur son pliant, et paraissait absorbé dans de

‘sérieuses réflex

— Ma foi, mon cher ami, dit Riouffe en lui. pressant la main, je ne vous cacherai pas que je suis aussi heureux qu'étonné de vous retrouver en vie! Mais qu’avez-vous done! Jamais je ne vous ai vu d'une tristesse pareilleL Votre vi- sage est sombre comme la voûle de notre cachot.

— Hélas! mon bon camarade, répondit Gosnay en ac- compaguant sa réponse d’un long soupir, vous ne pouve: vous imaginer combien je suis à plaindre. Je suis amoureux d'une femme comme jamais jeune homme de seize ans ne j'a été.


Et c'est là ce qui vous désespère ? — Hélas! pas tout à fait, mon ami; mais si vous saviez ffreux malheur qui m'arrive.

— Celle que vous aimez vient d’être condamnée à mort? — Nullement ! celle que j'aime me paye du plus tendre retour, et elle m'a fait promettre que je l'épouserai dès que je serai libre. Comprenez-vous bien l'étendue de mon infor- tune.

— Nullement! je ne la comprends pas du Lout. Je vous vois, au contraire, ua charmant avenir.

— Et c'est justement là ce qui me désespère, L'idée du bonheur que je laisse derrière moi affaiLlit mon courage et ie rend affreuse l'image de la mort. £

— Mais, malheureux, pourquoi vous obstiner alors dans la pensée coupable d'attenter à vos jours?

— Je ne pourrai jamais m’accoutumer à vivre déshonoré, mon bon monsieur Rioufe, répondit Gosnay

— Et, à propos de quoi vous prélendez-vous déshonoré?

— Saldat, j'ai livré mes armes à l'émeute! Je n'ai plus le droit d'être citoyen. Qui sait même si mes armes n'ont pas déjà servi, entre les mains du misérable sans-culotte qui s’en est emparé, à immoler d’innocentes victimes! Croyez-vous donc que je ne me regarde pas comme responsable, par ma faiblesse, de ce sang versé

En vain nous essayämes lous de prouver à Gosnay que, contre la force majeure, il ne pouvait rien faire; qu'ayant agi sous la pression des événements et nullement d'après l'élan de son cœur, il n'avait rien à se reprocher; il persista à déclarer que sa conduite passée ne lui laissait d'autre parti à prendre que celui de se tuer, ki Fe L

— Ge qui augmente l'horreur de ma nosition, ajouta-t-l en terminant, c'est que j'ai promis à mademoiselle Marie de ne pas en veuir à celle extrémité. Deux seules choses me


rassurent : la première, l'activité du tribunal révolution naire; la seconde, l'inimitié personnelle que le citoyen Ron- sin veut bien me porter,

Mademoiselle Marie était une charmante personne qu venait régulièrement à la Conciergerie rendre des soins à son oncle asthmatique. Après avoir rempli ce pieux devoir, — égards que son oncle ne méritait guère, car c'était bic l'homme le plus égoïste el le plus insensible que jamais la terre ait porté, — mademoiselle Marie allait passer trois où

eures auprès du bon Gosnay, qu'elle prèchit el ser. L de son mieux au sujet de son vilain projet de sui. cide, De ces longues et intimes conversations était née entre les deux jeunes gens une sainte amitié qui n'avait pus tardé à se changer en chaste et profond amour,

Trois jours après la conversation entre Riouffe et Gosnay, je viens de rapporter, on présenta à ce dernier son acte

l'accusation.

— Jelez un peu les yeux là-dessus, lui dit le geblier, qui, chose inouïe, lui portait intérêt; si je ne me trompe, et, d' près ce que m'a raconté un huissier, j'ai tout lieu de croire que je ne me trompe pas, il paraît que cet acte esl si mala- droilement arrangé qu'il vous sera possible de vous tirer d'afaire.

— Je vous remercie bien, camarade, répondit Gosnay.

wi, prenant l'acte d'accusation, le roula avec sang-feoid

lans ses mains, l'approcha d'une lumière, et se mit à allu- mer sa pipe avec; je vous remercie bien, mais je ne come * prends rien à la chicane, et je suis prêt à avouer tout ce que vous voudrez, même d'avoir volé les tours de Notre-Dame!

Pendant loute la nuit, car son acte d’acensation lui avait été remis vers les onze heures du soir, nous flmes tant d’ins= tances auprès de Gosnay qu'il finit par nous promettre, — en Jermes, du reste, assez évasifs, de se défendre,

Le lendemain main, nous étions à déjeuner lorsque l'on vint chercher les prisonniers appelés à comparaître devant le tribunal, À

Ea entendant prononcer son nom, Gosnay se leva tran- quillement de dessus son banc, et, buvant à pelites gorgées son verre à moitié rempli d .

— Mes amis, nous dit-il, à votre santé! Quant à moi. quoïqu'il ne faille jamais braver le sort, je crois pouvoir, sans me vanter, prétendre que je ne serai plus malade,

Une heure plus lard, nous apprimes par un guichetier les détails de la comparution de Gosnay devant le tribunal ; il avait répondu afirmalivement à tous les griefs d'accusation articulés contre lui, et son défenseur ayant voulu faire ob- qu'il n'avait pas sa têle à lui : « Jamais ma tête n’a plus à moi que dans ce moment, quoique je sois à la veille de la perdre, s'était-il écrié, Défenseur officieux. jette défends de me défendre! » Gosnay, est-il besoin de l'ajouter, avait été condamné à mort! !

A peine le guichetier achevait-il de nous faire ce récit lorsque les victimes de la jouraée traversèrent la cour de là Conciergerie. Nous nous précipitimes aux fenêtres, ainsi que cela élait notre habitude, pour les voir passer et pour leur envoyer à travers nos barreaux im dernier adieu, Le visage de l'ex-hussard resplendissait de joie.

En montant sur la charrette, notre malheureux ami s’a- dressa au guichetier qui lui avait remis son acte d'accusation et qui, je l'ai déjà dit, lui portait un certain intére lon ami Nivière, c'était le nom du guichetier, lui dit-il, il faut que nous buvions un verre de kirsch-waëser, sans quoi je t'en voudrai jusqu'à la mort.

Nivière apporta la liqueur demandée, que Gosnaÿ parut déguster avec un vrai plaisir de connaisseur, puis le cortége artit,

PTfga nous raconta le lendemain que la charrelle, en tr versant la cour du palais, avait été accueillie par des huéc: que Gosnay s'était retourné tranquillement vers ceux l'insultaient, et d'une voix fortement uccentuée Jeur avait dit — Lâches que vous êtes, vous m'insullez! Jriez-vous donc à la mort avec autant de tranquillité que moi !

IL we reste peu de mots à ajouter pour terminer celle