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MONSIEUR JACQUES. 25

de son arrestation. 11 a été incarcéré comme ayant des in- lelligences avec des ci-devant! Sa folie lui coülera proba- blement la tête, É

— Ce que vous me diles là est par trop monstrueux ! Quoi! guillotiner un fou parce qu'il se croit adoré de la fille de l’empereur de Ghine? c’est impossible.

— Rien n'est impossible à la révolution en fait de cruau- tés inintelligentes ; vous saurez ensuite que la folie d'Ar- mengo a encore grandi depuis sa détention, Avant d'être arrêté, il n’en était encore qu'aux duchesses : c'est seule- ment depuis qu'il babite la Conciergerie qu'il s'est élevé Run princesses, Armengo, je vous le répète, sera guil= lotiné,

Comme si Riouffe eût été prophète, à peine achevait-il de rononcer ces paroles qu'un guichetier, portant une liasse Li papier dans les mains, se dirigea vers notre lable et s'a- dressant au pauvre fou

— Citoyen, lui dit-il, je l'apporte ton passe-port.

— Quel passe-port? demanda tranquillement Armengo.

— Ton passe-port pour l’autre monde, reprit le guiche- tier, ou, si tu aimes mieux ton acte d'accusation. Tu es cilé à comparaître dans une heure devant le tribunal révolution- naire.

— Je vois ce que c'est, dit Armengo en soupirant, Une simple duchesse jalouse d'une grande princesse.

— Je ne dis pas le contraire, répondit très-sériensement le gudlier, Ça l'apprendra à fréquenter de pareilles canail- les.


Le lecteur supposera peut-être que cet épisode interrom- pit le dîner : nullement. Nous continuâmes, comme si rien ne s'élait passé, de faire honneur aux mels placés devant nous, C'était si peu de chose à celte époque que la vie d'un homme!

Une heure plus tard, Armengo comparaissait devant Fou- quier-Tinville, Le surlendemain nous apprimes que le pau- vre fou avait été guillotiné.

Je causais avec Rioufle, lorsqu'un guichetier, criant mon nom dans le corridor, arréta la parole sur mes lèvres.


Je m'empressai de me rendre au-devant du guichetier qui m'appelait; il me remit une lettre à mon adresse : c'était mon oncle, le patriole, qui m'écrivait. Après un Long préam- bule, on, pour mieux dire, un chant dithyrambique en l'hon- neur de la révolution, qui avait dû prolablenent servir de laisser-passer à sa lettre, mon oncle m'apprenait qu'il s'ac- cupail activement de ma mise en liberté, et qu'il espérait, connaissant surtout mon ardent saus-culoltisme, que je se= rais bientôt rendu à ma famille. Il terminait sa lettre en me donnant à entendre que la Gonciergerie devant fournir des contingents de plus en plus nombreux à l'échafaud , il allait faire tous ses efforts pour obtenir ma translation dans une autre prison.

Cette lettre, quoique, à vrai dire, elle ne renfermât pas l'expression d'une vive lendresse, me causa une émotion extraordinaire : je ne puis exprimer la joie et l'attendrisse- ment que je ressentis en songeant que je n° pas aban- donné par tout le monde ; que j'avais dés parents qui m'ai-

. Maient et s'occupaient de moi,


— Je ne voudrais pour rien au monde jeter une ombre sur votre bonheur, me dit Riouffe, à qui je m'empressai de communiquer la lettre de mon oncle, seulement, je dois, dans votre propre intérêt, el afin de vous empêcher de faire fausse route, vous donner un conseil ! Répondez à votre pa- rent que vous le remerciez infiniment de son zèle, mais que, confiant dans votre innocence et dans la pureté de vos sen timents, vous désirez que l'on ne tente aucune démarche en votre faveur.

— Et pourquoi répondre cela, mon cher Riouffe ?

— Parce que, moins l'on prononce de nos jours le nom d’un homme, et mieux cela vaut. Qu'un commis sachant à peine lire, — et vous n’ignorez pas la honteuse ignorance des employés du gouveruement actuel, — qu'un commis done, sachant à peine lire, reçoive d’un de ses chefs une recommandation en voire faveur, el il est très-possible qu'au lieu de vous rendre à la liberté, il vous envoie à la guil- lotine. — A chaque heure, à chaque minute du jour ont lieu de semblables méprises!