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2 MONSIEUR JACQUES.


— Alors nous sommes en communauté de répondis-je en lui tendant la main, Savez-vous seulement ce qui m'étonne ? c'est qu'en présence des monslruosilés sans nowbre qui se commeltent d'une extrémité à l'autre de là France, il puisse y avoir encore des gens qui, Couine nous, s’avouent républicair

— J'ai souvent réléchi à ce que vous me diles là ; me ré- pondit Riouffe, et je ne vous cacherai pas que mes réflexions ne sont pas en faveur de mes opinions.

Mais, continua-t-il, après avoir fait une légère pause, voilà beaucoup de politique pour une fois; nous reprendrons plès tard cette conversation, si bon vous semble, En aiten- dant, je vous demanderai la p à une jeune dume aussi intéressante que verlueuse, el dont le sort m'inquiète vivement, car elle a dù comparaitre ce malin dévant le tribunal révolutionnaire. Voulez-vous w'accompa- gner?

— Fort volontiers, mais votre proposition m'étonne étran- gement. Avez-vous donc la liberté de rendre visite aux fem- es déténués à la Conciergerie ?

— Pas précisément; seulement, la prison des femmes élant séparée de celle des hommes par une grille, nous pou; Vohs coiniuniquer avec n0S pauvres compagnes d'infortunes d'abord à travers cette grille, puis ensuite par les fenètre- de deux chambres au rez-de-chaussée, qui donnent sur leur cour.

= Ah! très-bien! Montrez-moi le chemin. Je vous suis.

Piouffe se leva alors de dessus son Lit où il était resté assis pendant tout le temps qu'avait duré notre conversation , et sortant tous les deux ensemble du cachot n° 43, nous nous dirigeimes vers le logement des femmes,

= Savez-vous bien, mon cher monsieur, lui dis-je pen dant ce court trajet, que, sans vous en douter le moins dn moude, vous réchaufez en ce moment un serpeñt dans votre sein! Tel que vous me Voyez, j'écris jour par jour mes m moires, et si, comme vons me le disiz tout à l'heure, Dieu me prête vie, j'espère bien les publier plus tard !

= Quoique homme de leltres, je ue suis nullement enclin à la jalousie et à l'envie, me répondit-il en souriant ; el La preuve, c'est que je vous fournirai, si cela peut vous être agréable, dés renseignements intimes et tout à fait inconnus sur les hommes marquants que j'ai connus à la Concier-

rie,

Fa tot, je vous prenils au mot! Et quels sont ces hom- mes Que VOUS avéz condus ?

22 Fonfréde, Duclos, Gensonné, Vergniaud, Yalazé, la citoyenne Roland et une foule d'autres victimes non moins illustres, me répondit-il, Fat vu défiler devant moi ce res plendissuit cortége de réveurs sublimes coutduits, an nom de la liberté, à l'échafaud. Plus tard, j'ai entendu tes rugi sements de cé tigre à face humaine, que la peur qu'in: raienl son audace et'son immortalité à grandi Outre mesure, de Danion, Je vous rtdirai sés dernières paroles. Je Vous le peiudrai tel qu'il était ! Mais voici l'heure qui S'avance, mu- dame D°** doit être de retour du tribunal, Hâtons-nous de nous rendre à la grille.

Nous trouvâmes, en arrivant devant la grille, plusieurs de nos compagnons d'infortune qui se pressaient aux alèn- tours de celte barrière; chacun cherchit du regard ou ap-

lait de la voix une personne aimée : celui-ci sa sœur, Ce ui-là sa fille, d'autres leurs femmes, quelques-uns leurs fiancées. En général, et ce ne fut pas sans un grand étonne ment que je lis cette remarque, les détenus des deux sexe causaient entre eux avec uue entière liberté d'esprit, sans qu'aucun sigue trahit sur leur visage l'inquiétude ou l'abat- tement.

La conversation qui avait lieu à travers la grille n'eût cer- tes été ni plus calme ni plus suivie dans un salon de ba compagoie. de suis tenté de croire que la perspective d'une mort prochaine donnait, même aux prisonniers les moins bien élevés, celle dignité véritable, que produit nue bonre conscieuce unie à ue résirnation sin Mon compaguoù s’approcha {out contre la grille. et, après avoir salué avec une exquise politesse plusieurs de sa connaissance, il


iments lui; s'informa si madame D*** n'était pas encore revenu

rmission d'aller rendre visite


nada du (ri bunal révolutionnaire, I lui fut répondu que non

— Ce relard me contrarie vivement, me dit-il avec un grand calme, ear il me semble de mauvais augure, IL est pro- bable que celle pauvre jeune femme aura été condamnée,

— Puis-je vous demander sans indiscrétion ; lui dis-je, quelle est celte personne dont le sort-vous inquiète ? :

— Gerles, sans aucune indiscrétion, madame D*** âgée de dix-sept ans, a élé envoyée, il ÿ a quelques années, en Anglelerre pour y fire son éoacanon Mare le ones des nière, elle à été arrèlée, voilà près d'un mois, en venant faire un petit voyage à Paris, avec son père.

— Et pourquoi a-t-elle été arrètée ?

— Mais, — pardonnez-moi de vous faire cette réponse digne de là Palisse, — elle a été arrêtée parce qu'elle était libre! EL vous, et moi, el cent wille autres infortunés par- faitement innocents, pourquoi peuplons-nous donc en ce moment lous des cachots de la France? Au reste, on a dai- gné colorer Pincarcération de madume D°** d'un prétexte plausible : on l'accuse d'avoir émigré! IL y a cent à parier core un qu'elle sera condamnée à mort,

= Vous me dites cela avec un sang-froid incroyable !

= Que voulez-vous ! l'hubilude de voir chaque jour jeter dens ce fatal tombereau ceux qui me sont chers a, sinon émoussé ma sensibilité, au moins donné une grande force à sou caractère, Deux amis causent intimement ensemble, on appelle l'un d'eux pour le conduire à l'échafaud ; il donne alors tranquillement une poignée de main au survivant, achève sa phrase commencée, ëL s'éloigne avec une tranqui lité parfaite. Voilà ce qui se voiLiei vingl fois par-jour ; il est bien rare qu'un condamné se débatte contre là mort ou im-

lore ses bourreaux. Si, à aucune époque de notre histoire, a France ne:s'est montrée aussi vile et aussi lâche qu'elle l'est en ce moment devant ses immondes oppresseurs, € compensation, jamais le courage passif n’a alieint un tel de- gré. Presque personne n'ose songer à la résistance, mais {out le monde sait mouri :

Rioulle achevail à peine de prononcer ces paroles, lorsque plusieurs voix appelèrent son nom.

— Eh! eh! me dit-il en souriant, l'instant est-il donc venu pour moi de vous fournit uu exemple de cette indifférence de la vie dont je vous parle !

— Oh! non, n'écrini-je avec émotion, cela est impossi ble, Vous êtes tellement innocent de tout crime, que l’on ne pourra vous condamner,

— Vous me la donnez belle avec votre innocence, s'écria RioufTe en riant. On croirait, à vous entendre, que Vous re- venez du fond de la Sibérie et que vous ne vous doutez pas de ce qui se passe en France, N'ai-je pas vu conduire au supplice un jeune homme, âgé de vingt-cinq ans au plus, qui n'avait jamais été marié, et qui monta sur l'échafaud comme ayant un fils émigré el qui portait les armes contre sa patrie! À présent que j'ei fui ma phrase, passons à a poignée de main, et au revoi <


Rioufe s’'éloigna alors de moi d'un pas calme et assuré, et sans que rien, dans sa démarche ou dans sa contenance, dé- celât la moindre émotion. Je me htai de le suivre,

Heureusement qu'il s'était trompé, On ne l'appelait que pour l'avertir de l'arrivée de celte jeune dame D, au sort de laquelle il s'intéressait. Je ne mie souviens pas d'avoir ja-

mais vu une plus charmante femme que madame D°” : la grâce, la distinction et la pudeur se lisaient jusque dans ses uoiudres mouvements,

— Je vous remercie beaucoup, mon bon mousieur Riouffe, dit-elle à mon nouvel ami, de l'empressement que vous avez mis ce matin à demander de mes nouvelles. Je n'ai pas come para, comme je m'y attendais el comme je vous l'avais an- noncé hier, devant le tribunal révolutionnaire ; on m'a seu- lement conduite devant une espèce de juge d'instruction qui m'a à peine adressé quelques questions ivsignifiantes. is, si je ime berce d'un fol espoir, mais il m'a semblé, à la façon polie et inusitée dent il a'interrogeait , que je lui étais recommandée spéeialemer

Que Dieu vous entende, matlane! lui répondit Riouffe,