Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 4, 1866.djvu/23

Cette page n’a pas encore été corrigée

MONSIEUR JACQUES, . #


qui court, on ait trop de place dans les prisons! cette cham- Dre contient dix-huit lits. Quant à Ja porte, on la ferme seu- lement le soir, lorsque les détenus sont rentrés e ont passé par l'appel. €

— Mais alors, je puis donc me mêler à tous ces détenus que j'ai aperçus en traversant le corridor, me promener et causer avec eux! m'écriai-je avec élan, et n'osant croire en- core à lant de bonheur,

— Qui l'en empêche? me répondit le geôlier en s'éloi- gnant.

Mon premier soin, lorsque je me vis libre, fat d'entrer dans la chambre ; elle était à peine éclairée par d’étroites ouvertures creusées le long de la muraille et défendues par d'énormes barres de fer; toutefois, on pouvait, en regardant à travers ces barreaux, apercevoir le dehors.

Quant aux lits, — des pliants, — attenant les uns aux au- tres, ils étaient séparés par de hautes planches, entre les- quelles chaque détenu isolé ressemblait assez à une statue dans sa niche.

A vrai dire, ces lits ne présentaient pas un grand état de propreté; leur unique matelas, très-étroit, avait à peine deux pouces d'épaisseur, N'importe ! en comparaison de la paille boueuse, hachée et infecte qui depuis mon arrivée à la Conciergerie avait élé wa seule couche, ils me parurent d’un luxe inouï,

J'étais arrivé à l'extrémité de la chambre et j'allais retour ner sur mes pas, lorsque j'apereus, couché et endormi sur le dernier pliant de la rangée, un de mes nouveaux compa- gnons de malheur, Sachant mieux que personne le soulage ment immense qu'apporte le sommeil aux mallieureux, je me disposais à m'éloigner sans bruit et sur la pointe des pieds, quand mes regards rencontrèrent, en se baissant vers là terre; un cahier de papier couvert d’une écriture fine et serrée, qui gisait sur le sol,

Ma première pensée fut de le ramasser, mais la réflexion m'arrêta, S

— Peut-être ce manuscrit est-il fort compromettant pour son auteur où son possesseur , me dis-je: or , si ce dernier, qui ne me connaît pas encore, sait que je l'ai eu entre mes mains, il ne manquera pas d'éprouver de vives inquiétudes, Je crois que le parti le plus sage est de m'éloigaer sans pel

- dre de temps. Oui, mais si, comme je le suppose, ce nr nuscrit esL compromeltant, n'y a-t-il pas danger à le laisser ainsi exposé à la vue du-premier geolier venu! Définitive- ment, il n'y a pas à hésiter. Je dois réveiller cet homme.

En effel, mettant aussilôt à exécution ma pensée, je pris le bras du dormeur et le secouai vivement ; mon compagnon de chambre ouvrit les yeux,

— Que me vonlez-vous ? Pourquoi me dérangez-vous? me demanda-t-il de fort mauvaise humeur, je rèvais que j'étais libre, dans le sein de ma famille! Vous avez bien besoin de venir me rappeler à la réalité.

— Je vous demande bien pardon, citoyen, lui répondis-je, mais il y a là, aux pieds de votre lit, un cahier de papier écrit que je crois que vous avez perdu!

— Mon histoire des prisons! s’écria- en se levant avec une vivacité extrême, Ma foi, ciloyen, il ne me reste plus qu'à vous présenter mes très-Bumbles excuses pour mon in. civilité, et à vous remercier du -plus profond de mon cœur. Savez-vous bien ce que vous avez fait, en m'éveillant ? Vons avez lout bonnement retenu ma tête au moment où elle allait glisser de dessus mes épaules.

— Vous attachez trop d'importance à une simple préve- nauce de ma part.

— Mais du tout. je vous assure que cette prévenance, qui me prouve, soit dit en passant, que j'ai devant moi un lomme bien élevé, me sauve peut-être la vie. Ce manuscrit £ontient ni plus ni moins le récit véridique et impartial de Ma Caplivité à la Conciergerie! Or, comme voilà près de quinze mois que je suis prisonnier, je vous laisse à penser à quelles épouvantables scènes j'ai dû assister et combien les réflexions dont je les accompagne éveilleraient la rage des assassins qui NOUS déciment, s'ils en avaient connaissance, Le service que vous Venez dé me rendre est, vous le voyez,


réel, Je me nomme Rioufle (1), voulez-vous étre mon ann ?

Le lecteur devinera, sans que j'aie besoin de le rapporter ici, quelle fut ma réponse, à

J'exprimai à mon nouvel ami, comme je le ressentais, c'est-à-dire avec effusion, le bonheur que j'éprouvais de trou. ver un cœur qui sympathisät avec le mien. A présent que je n'étais plus seul, je me sentais une force et nn courage dont je ne me serais pas soupçonné capable une heure aupara- vant : la caplivité ne m'épouvantait plus.

Le citoyen Riouffe devait avoir, à celle époque, de vingt- neuf à trente ans. 11 était d'une stature petite, mais bien proportionnée ; il suffisait de voir sa physionomie vive, fine et animée pour être persuadé, avant même qu'il ne parlât, qu'il étoit homme d'esprit. Il avait un timbre de voix doux et pénétrant ; une parole facile, abondante, pleine d'images et d'énergie. U lisait avec un’ goût exquis, et possédait à fond la connaissance des langues latine, grecque, italienné et anglaise.

J'ai Loujours regretté que ma destinée, comme le lecteur le verra bientôt, m'eût séparé de lui peu Ge temps après que j'eus fait sa connaissance.

— Et vous, citoyen, me demanda-t-il, alors que je lui eus raconté en peu de mots mon histoire, depuis quand donc vous trouvez-vous à la Conciergerie ?

— Depuis environ quinze jours.

— Je ne conçois pas alors que je n'aie pas encore eu le plaisir de vous voir. È

— Il n’y a rien d'étonnant à cela ; l'on m'avait placé dans la section des assassins, et il y a à peine une heure que je suis sorli de mon cachot. Mais à présent que je vous ai mis &u courant de l'événement qui a molivé mon arrestation, m'est-il permis de vous demander, à mon tour, quelle est la cause de voire détention?

— Volre question est fort embarrassante, et je crains bien, malgré toule ma bonne volonté, de ne pouvoir y ré- pondre : j'ignore encore, depuis bientôt deux aus que je suis en prison, la cause réelle de mon arrestation, Autant es puis te supposer, il parallrait que je suis un conspirateur, Le fait est, qu'en y réfléchissant bien, il n'est pas impossible que j'aie montré de Ja pis en faveur des victimes que l'on immolait chaque jour à Bordeaux, que j'habitais à cette épo- que. Le tigre veut bien daigner permeitre que l’on vante ses sanglants exploits, mais il n'entend pas que l'on plaigne le sort de l'innocente gazelle. Partout où il flaire un sang géné- reux et pur à verser, une viclime à immoler, il trouve natu= vellement'un coupable, Fe e

— Vraiment, mon cher monsieur, dis-je à mon nouvel ami, à l'énergie pleine de mépris el d'ironie avec laquelle vous venez de prononcer ces paroles, il n’est pas besoin de vous demander, pour les connaître, quelles sont vos ôpinions politiques, e

— Vous croyez? Et quelles sont donc, d'après vous, ces opinions? .

— Royalistes, cela va sans direl ë

— Vous pensez! Eh bien , permellez-moi de vous assurer que vous vous trompez du {out au lout dans voire apprécia- tion. Je suis républicain !

(1) Honoré Rionfre, né à Rouen le 1er avril 1754, et qui à laissé un certain nom dans les lettres, publia, aprés le 10 Cienmidor, « les Mémoires d'un délenu pour servir à l'histoire de la iyrannie de Robespierre. » Cet ouvrage, qui produisit lors de son apparition une grande sensation, est encore fort estimé de nos jours. 1] est re- amarquable, en dehors des qualités de style qu'il renferme, et qui sont réelles, par son excessive impartialité.

Lorsque les derniers efiorts de la faction terroriste eurent amené a chute du Directoire et l'établissement du gouvernement consulaire, Rion£e cut nommé membre du Tribunat, où il combattit avec une rare énergie les efforts de la démagogie.

A sa sortie du Tribunat, Riouffe fut fait préfet du département de la Côte-d'Or. De cette préfecture, il passa à celle du département de la Meurthe, qu'il administra jusqu'en 1813, époque de sa mort.