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jeune bandit resta plongé dans un état de stupeur profonde, ais au moment où on voulait l'emmener, il secoua vive- ment Ja tête, comme s’il sortait d’un songe, et quoique ses mains fussent solidement liées il opposa la plus vive résis- tance aux gendarmes, Se précipitant sur eux avec une rage et une férocité inouïes, il essayait, lout en poussant des cris rage et iuarticulés, de les déchirer avec les dents. On dut le terrasser à coups de crosses de mousqueton et l’em- porter. :

. Je ne puis exprimer le dégoût profond et la pénible émo- tion que me causa celle scène de brutalité el de violence.

— Voilà ce que c'est que de se laisser guider par des pas- sions ; tôt ou tard on en est la victime. Un homme qui veut réussir ne doit se passionner que pour son mélier, — il pour toute oraison funébre le philosophe Pampin en” voyant €niraîner son camarade Pilade.

Quant à l'Argentier, occupé à retourner en tous sens et à examiner fil par fil la carmagnole et Ja couveriure dont il ve- nait d’hériter, il ne dit rien du tout. I] paraissail on ne peut plus satisfait.

Le lendemain devait être pour moi une journée à événe” ments. Nofs apprimes d'abord que Pilide avait subi le ma- tin même le dernier supplice; puis, le geôlier avec lequel Pampin était entré en pourparlers au sujel de mes 96 louis, lui rapporta une réponse: on consentait, contre une cession de cette somme, à me remettre cent livres ou quatre loui

Je dus accepter celle transaction désastreuse, Toutefois Pampin stipula que l’on me permettrait, par-dessus le mar- ché, d'écrire une lettre que l'on mettrait à la posle : celle aulorisalion me fut accordée, Je m'empressai donc de tracer, sur un morceau de papier, que le porte-clefs me fournit lui- même, le récit de notre ‘arrestation et de mes malheurs, puis j'adressai le tout à mon oncle le patriole, en le sup- pliant de venir à mon secours.

— Citoyen, dis-je à Pampin en voyant s'éloigner le ge- lier, ce sera à vous, si je réussis, que je serai redevable de ana liberté.

— Je vous ai déjà prié, me répoudit-il, de ne pas m'ap- peler citoyen ! Cette dénomination révolutionnaire me donne sur les nerfs. Après tout, comme je conçois fort bien que vous désiriez médiocrement me traiter eu camarade, appe- lez-moi Pampin tout court, où M. Pampin, à votre choix.

— M'est-il permis, monsieur Pampin, de vous demander d'où vent l'aversion que vous éprouve pour la ré\cution?

— Gertes! la révolution, à laquelle je pardonne, à la ri- gueur, ses excès, quoiqu'ils dépassent, à vrai dire, de beau- coup, en monstruosité el en horreur, lout ce que nous autres assassins de profession sommes capables dé commettre en fait de cruaulés et de meurtre, la révolution ne se lavera ja- mais à mes yeux de l'émigration dont elle a été la cause, el de l'établissement du jury ! L'émigration, en enlevant à la France les deux tiers de sa richesse numéraire, nous à ré- duits à l'oisiveté et à la misère, .

Quant aux jurés, ne comprenant rien à nos excuses, él jugeant, nou d'après les faits que nous parvenons à établir, mais d'après leur conscience, ils nous livrent, avec une dé- sastreuse facilité, aux mains du bourreau! Les trois quarts des nôtres qui ont été exécutés depuis celte stupide inven- tion du jury se seraient lirés d'affaire, s'ils avaient eu à comparaître devant des juges habiles !

Je consigne ici, comme un trait de mœurs de l'époque, celte singulière confession de l'illustre Pampin.


VII b

Mon intention n’est certes pas de faliguer le lecteur par le recit ou le journal quotidien des souffrances que j'eus à en- durer pendant mon séjour dans ce cachot peuplé de bandits,

Je dois toutefois, afin d’obéir à la vérité, constater que tous ces voleurs el ces assassins se conduisirent honnête ment à mOn égard. * ‘

Persuadés que j'étais incapable de les trahir, ils traitaient devant moi de leurs affaires avec un abandon complet, une


franchise entière. J'appris ainsi ce rieuses el peu connues.

Au reste, absorbé la plupart du temps par mon je m'isolais d'eux autant que possible.

N'ayant pas encore reçu les cent livres que l'on m'avait .

promises en relour de la cession que faite de mes 90 louis déposés au greffe, je partageais l'ordinaire des pri sonniers, Ce n’était que quand la faim me mordait trop cruellement aux entrailles que je me résignais à puiser dans le hideux baquet où l’on nous servait, chaque soir, notre pi- tance quotidienne, Au reste , l’engourdissement que j'éprou- vais lorsque je restais deux jours sans manger ne manquait pas d’un certain charme, 11 me procurait de singulières hal= lucinations; je me voyais libre au milieu d'un vaste jardin planté d'innombrables arbres fruitiers, et sillonné de‘char- mans ruisseaux, . L'appauvrissement de mon sang me donnait an Lience el une résignalion que je n'eusse mon courage. Il m'est ivé de r s de vingt-quatre heures dus la même pi ; sans prononcer une parole, dans un élat mixte, si je puis m'exprimer ainsi, entre la vie et la mort.

Douze jours s'étaient écoulés depnis mon arrestation lors- qu'un malin l'un de nos geôliers ouvrit la porte de nolre tombeau eL appela mon nom. 4

Il me sembla qu'un choc électrique m’atteignait, En un bond, malgré ma faiblesse, je fus sur mes pieds.

Je me trouvais si oublié du monde, si abandonné, si mal- heureux que la pensée de comparaître, soit devant un juge d'instruction, soit même devant le tribunal présidé par F quier-Tinville, me causait une joie infinie. J'allais donc enfin


nes particularités eu-


spoir,

ï une pa- vas trouvées dans


être fixé sur mon sort el sortir de celle affreuse incertitude,

qui, par momeñl, me condnisait à douter de ma raison.

2 Où me conduisez-vous? demandai-je au guichetier.

— Je te conduis à la section politique, me répondit-il. Il pt que tu as trouvé uu protecteur ! À présent, comme un

onheur n'arrive jamais seul, voici 75 livres que je suis Chargé de te remellre,

— Séixante-quinze livres à moi ! et de la part de qui?

+ — De Torquatus, me répondit le guichetier en baissant la voix, c'est tout ce qu'il à pu sauver des quatre-vingl-lix louis qui L'ont élé pris le jour de ton arrivée à la Concierge- rie. Si j'ai un conseil à Le donner, c'est de ne parler à per= sonne de celte afaire qui pourrait te compromelire, ainsi que Torquatus, à qui Lu dois une grande reconnaissance,

— Ne crains rien, répondis-je au guichetier, je le pro- mets que je serai d'une discrétion à loute épreuve.

Le fait est qu'en recevant ces soixante-quinze livres sur lesquelles je n’osais plus compter, el en songeant aux amé- iorations qu'elles devaient me procurer dans ma position, je urais pas, j'en suis persuadé, hésité à déclarer, de bonne foi, si l'on m'eût interrogé à son sujet, que Torquatus était un fort galant et fort hon: homme.

Comment dépeindre la joie folle et immense dont je fus saisi, lorsqu'après être sort de la galerie souterraine où était situé mon cachot, je me trouvai en pleine lumière , que j'aperçus le soleil ! L’émotion que j'éprouvai alors n'a rien perdu dans mon souvenir de sa force el de sa vivacité; je crois, en écrivant ces lignes, la ressentir encore! .

Et puis, quelle différence entre l'aspect hideux et repaus- sant des bandits que renfermait le cachot que je venais de quitter, et la physionomie des prisonniers qui encombraient les corridors de la partie politique de la Gonciergerie! Quel- ques visages reflétaient bien un profond sentiment de tris- tesse, mais combien celle tristesse était moins affligeante voir que ce cachet de cynisme et de brutalité tracé par le crime en traits indélébiles sur le front des Pampi

_— Voici ta chambre, me dit le guichetier qui m'accompa gnait, en me désigoant une porte bardée de fer, el au haut de laquelle on apercevait grossièrement lracé en couleur noire le n° 13. s

— Mais la porte me semble entr'ouverte, li répondis-je, Cette chambre n'est-elle donc habitée par personne ?

— Te figures-lu done que, par le temps d'aristocrates