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48 MONSIEUR JACQUES,


Pampin, en entendant ma réponse , resta un moment Si- lencieux et comme absorbé par ses réflexions, puis se re- tournant Lout à coup Yers moi : ;

— Quand vous aurez de semblables vérités à me jeter au visage, je vous prierai de les garder dorénavant pour vous, ane dit-il d'un ton farouche. ÿ

Ne voulant pas m'exposer, par une réplique maladroile, ou intempestive, à irriter mon terrible compagnon je réunis quelques brins de paille et je me couchai.

J'étais tellement exténué de fatigue par les quatre jours que je venais de passer dans la berline, sans pouvoir ten

re les jambes ni fermer les yeux, que je ne tardai pas à mue laisser aller au soumeil.

Je ne fus pas peu surpris, avant de m'endoumir, d'enten- dre pleurer près de moi, quoiqu'il essayät d'étoufier ses Sanglots, mon troisième compagnon de ‘captivité, c’est-h- dire le laciturne adolescent aux traits flus et délicats el à la figure mélancolique. À

Qu'elle fut triste la première nuit que je passai dans-mou cachot ! Quels songes affreux ! Quel épouvantable réveil ! Je ne me souviens pas d'avoir jamus éprouvé un accablement et un découragement pareils à çe qua je ressentis, lorsqu'en me réveillant, couvert d'une sueur froide et l'esprit lout troublé encore par le cauchemar, je me trouvai plongé dans les ténèbres. Je ne pus retenir mes larmes, On fül venu me chercher alors pour me conduire au tribunal révolulion- naire, c'est-à-dire à la mort, que mon cœur aurait bondi de joie. Je n'aurais certes pas cru payer trop aher, au prix de ma vie, une heure de lumière el de soleil.

— Voyons, un peu de fermeté, camaradel me dit bientôt une vois qui me fi tressaillir; que diable ! pour un militaire vous êtes d'une douilletterie inconcevable! Allons, je m'e vais, pour vous égayer, vous chanter un couplet de ro- mance ; vous reprendrez avec moi le refrain,

Pampin, car c'était lui qui i’adressail ainsi la parole, Pampiu, se mit alors à entonner de sa voix formidable une pastorale qui devait dater de Louis XV.

— Eh bien, me dit-il, en voyant que je ne faisais pas cho- rus avec lui, votre lristesse dure douc toujours? Parole d'honneur, vous w'aîigez, et je ne vous comprends plus ! Attendez au moins, pour : vous lamenter, qué le tribunal vous ait signé voire feuille de route pour Léternité. D'ici là vous avez peul-ètre bien plusieurs mois devant vous ! Eï, comme dit le proverbe : Qui a terme a vie! Qui sait si nous ne parviendrons pas à nous évader ! Allons, un peu de cou- rage!

— C'est justement la perspective: de. résler plusieurs mois plongé dans un cachot, et non pas la crainte de l'é- chafaud, qui m'épouvante, lui répondis-je; j'ai peur, si ma posilion actuelle se prolonge, de devenir fou! 4

— Cela ne prouve qu'uue chose, me répondit sentencieu- sement Pampin, c'est que vous manquez de l'expérience et de l'hubitude des prisons, Si vous aviez, comme moi, passé près de vingt années de votre vie dans les galères el dans les caohots, vous: sauriez. qu'il n’y à pas un animal dans la création qui sache se plier aussi aisément que l'homme à la douleur et aux privations! La nécessité vous donne des forces que vous ne soupçonniez même pas, des forces iné- puisables !

Comment expliquer autrement le courage, on peut mème dire l'indifférence, que montrent devant la guillotine Loutes les femmelettes délicates que l'on ronduit, chaque jour, par charretées à l'échataud, Croyez-moi, on s'habitue à lout, au danger comme à Ja souffrance, pourvu, toutefois, que le danger et la soulfrance restent les mêmes, Avant huit jours d'ici, je vous prédis que vous serez complétement fait à voire position. Vous trouverez même le moyen de vous créer quelque amusement , quelque récréation et de passer d'heu- Jeux moments.

— Je vous remercie beaucoup de la peine que vous pre- nez pour remonter mon moral , répondis-je à Papin; mais vous allez trop loin, et l'exagération de vos paroles déiruit pour moi ce qu'elles pourraient avoir de cousulant.

— En quoi Voyez-Vous que j'evagère?


En prétendant que je trouverai le moyen de me créer ici ua amusement ou une récréation.

— Mais certes que je le prétends, je ne m'en dédis pas! Il y a lrois mois que l'on plaça dans mon cachot un politique comme vous, el qui, comme vous aussi, se désolait et appe= lit la mort à grands cris. C'était un ci-devant, un homm la haute. Quinze jours plus tard, il avait réussi à apprivoiser un gros ral gris, et il se déclarait le plus heureux des hom- mes,

— Parce qu'il était parvenu à apprivoiser un rat?

— Parce qu'il avait {rouvé un moyen d'employer son lemps. L'essentiel pour l'homme, ce n’est pas LA faire de grandes choses, iais bien d'êlre Loujours occupé à quelque chose, Pendant les trois mois que le ci-devant pas: et noùs, il (ut tellement absorbé par l'éducation de son rat et par un poème qu'il composait de mémoire, que, quand on vint le chercher pour le conduire au tribunal révolutions” naire, Îl parut atterré, non pas qu'il craigoil le sort qui l'at- tendait, c'était un howme de courage, mais parce qu'il lui semblait qu'il avait encore d'importants devoirs à remplir sur la terre, Cherchez votre rat ou composez votre poème , et vous verrez aveo quelle rapidité le lemps passera pour vous

Pampin, je ne sais si le lecteur s'en Séra aperçu, n'était pai un assassin ordinaire. Aussi sa conversation, quoiqu'il né m'eûl pas caché ses épouvantables antécédents, apporta télle un peu de soulagement à mes maux; elle détour in pensées des images sombres et lugubrés qui les obs

aient,

— Ainsi, lui dis-je, car je préférais encore causer avec lui, à voir l'obscuriié de notre cuchot se compliquer d'un lu- purs silence , ainsi vous ne croyez pas à une douleur éter- nelle?

— Je n’y avais jamais cru jusqu'à ce jour, me répondit-il, mais je vous avouerai que l'exemple de Pilade à beaucoup ébranlé mes idées à cel égard,

— Quel est ce Pilade dont vous parlez?

— G'est ce jeune garçon qui esi couché 1a, derriere vous, blotti contre là muraille, el à qui vous n'avez pas entendu prononcer une seule parole depuis votre arrivée ici, Pilade, qui, à peine âgé de dix-neuf ans, compte déja près de qu tre années d’honorables et glorieux services, :a débuté, parwi nous, avec beaucoup d'éclat! Nous fündious sur génie les plus belles espérances, et je le désignais déjà à notre corporation comme mon digne successeur, lorsque, par malheur pour lui, ua nommé Pampelune, son ami d’en- lance, a été arrêlé,

A partir de ce moment, ce misérable Pilade perdit toute son énergie, lout courage! Je suis habitué à Pampelune: diisait-il, lorsque nous lui adressions des reproches faiblesse impardonnable, et, laut que je serai séparé de lui, je ne vaudrai rien, Réussissez à faire évader mon ami, el je redeviendrai tel que j'étais auparayant!

— Ei vous ayez tous abandonné, Comme des lîchies, ce malheureux! s'écria Pilade en sorlant de son état de tu- peur et d'apütbie, el en se mêlant pour la première fois à la conversution.

— Vous le voyez, il suffit de prononc de son ami pour le retirer. de son imbéc me dit Pam pin. Mais, mon pauvre Pilide, continua-t- en s'adressant à l'adolescent, si ce que l'on m'a raconté est vrai, Lu n'as pas eu taot à Le louer de Pampelune. On. prétend qu'il à tenté de l'assassiner par deux fois ?

— Et moi, je lui ai dunné trois coups de poiguard à Lrois reprises différentes, répondit Pilade; nous sommes quit- tes, EL puis, est-ce que des amis n'ont pas, le droit de se chawailler? Cela ne regarde personne ! Fais-moi donc le plaisir, Pampio, de ne plus dire de mal de Pampelune, où, foi de coquin, je te saute à la gorge et, je Le force à mé” touffer, pour te débarrasser de moi. '

— Mais, enfin, continua Pampin, sans répondre à cette menace, que la grande supériorité qu'il savait avoir sur Je jeune home lui fit mépriser saus doule; mais, enfin, expli- que-moi pourquoi Lu ne veux pas vivre Sans {on ani ?


comme çà le nom