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MONSIEUR JACQUES.

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la vie politique, et par son manque d'instruction, de prendre place parmi les gouvernants, il calomnie et vilipende, au nom de l'égalité, ceux que leurs lumières ont placés à la tête de la natioy 2.

Enfin, vient un jour où le triomphe de Phypocrite a lieu! Mais à quel prix ce lriomphe at-il été obtenu ? Au prix du sang des faibles et des généreux d'esprit qui, croyant com- batire pour la liberté, sont tombés victimes de la soute et fatale crédulité qu'a sa leur inspirer notre homme ! La ba- waille est donc finie! le pouvoir est vaincu, voyous nos poli- tiques à l'œuvre! Ils se donnaient comme des apôtres de la liberté! les voici qui emprisonnent indistinctement tous ceux dont la fortune, les talents et l'honnêteté leur font envie ou leur portent ombrage. Ils font massacrer des milliers d’en- thousiastes naïfs, en leur parlant d'égalité. Pourquoi donc se jetent-ils, avec l’avidité d’une mêule de chiens affamés, sur tous les emplois, sur toutes les, places? Pourquoi, une fois devenus puissants, repoussent-ils dédaigneusement du pied ceux qui, la veille, étaient leurs égaux par la naissance, leurs supérieurs par le travail? ;

Pourquoi, après avoir affecté une austérité, qui provenait seulement de leur misère, se plongent-ils dans de profondes débauches, et dépassent-ils, de beaucoup, en extravagances, ces excès de quelques courlisans, qui les indignaient tant jadis?

Pourquoi? Parce que ces misérables, qui sacrifient l'uni- Vers à leur personnalité, sont des gredins qui n'ont pas, comme moi, la franchise de leur étal ; parce que, manquant de mon courage, ils préfèrent s'emparer, au nom de la loi, des dépouilles des victimes qu'ils ont fait massacrer au nom de la liberlé, à luer bravement un homme pour lui voler sa montre el sa bourse! Tu vois donc, mon garçon, ajouta Pampin, qu’en Le trouvant dans ma société, tu n'es pas plus à-pluindre que si l'on l'avait mis dans les cachots qu'habi- teut les complices de Danton !

Je ne me rappelle pas avoir jamais éprouvé de ma vie un étonnement pareil à celui que me causa celte tirade du fa- eux Pampin ! fn

Jallais lui répondre, lorsque j'entendis grincer les ve roux de la porle de voire cachot et vis apparaitre Lrois gu chetiers qui, armés de torches allumées et accompagnés cha- cun par un énorme dogue, venaient nous appower notre pilance quotidienne et passer leur inspection du soir.

A la lueur ardenle et rougeätre des torches, j'aperçus térieur de mon cachol el la figure de mes compagnons d'in- fortune.

Le cachot, qui pouvait avoir une douzaine de pieds carrés, était d'une hideuse malpropreté : à chaque angle droit formé par les murs, se trouvait un monceau d'immondices; le sol n'offrait guère plus de propreté,

Quant aux physionomies de mes codétenus, elles présen- tient une grande diférence entre elles. Pampin, que je de- vinai au premier coup d'œil, offrait un de ces types mons- trueux du vice comme on en rencontre à peine un seul dans le cours de sa vie. Agé d'environ cinquante ans, le célèbre assassin était borgne et boiteux, sa figure, affreusement ba- lafrée; était couverte de rides pendante

Son buste puissant, ses épaules d’une largeur et d’une épaisseur phénoménales, ses bras d'une longue silée et gros connue les cuisses d’un homme ordinaire, tout dénotait <a lui une force surhumaine : le sceau de l'homicide était empreint sur Loute sa personne, et, si ce n'est toutefois l'in- telligence qui se lisait dans ses yeux gris pélillants de ruse, on l'eût pris volontiers pour un monstre léroce de race in- connue.

Accroupi aux pieds de Pampin, se tenait un jeune garçon, à peine sorti de l'adolescence, et dont les trails Üns seu blaent voilés par une mélancolie profonde; absorbé dans 568 réflexions, à peine leva-t-il les yeux lorsque les guiche- tiers entrèrent dans notre cachot.

Enfin, un peu plus loin, j’aperçus mon compagnon de caplivité. Quoique sa physionomie fût beuucoup moins éder- giquement accentuse que celle du terrible Pawpiu, elle était Peul-être encore Plus repoussante, grâce à l'expression de

ocrisie qu'elle reflétait. 11 ÿ avait dans ce miséra- De MR et de vipère. Un seul coup d'œil devait sut. fre à un observateur pour L queen C'était lui qui, à deux reprises différentes, m'avait adressé la parole avec celte voix doucereuse que Pampin s'était empressé de faire laire.

Les porte-clefs, après avoir terminé leur visite, déposè- rent devant nous notre repas, qui se composait d'un plat d'une viande énigmatique et d'une salade dont les feuilles vertes, et flétries avaient dù être ramassées au coin d'une borne. 2 : ,

— Dis done, mon ami Jean, s’écria Pampin en s'adres- sant à l’un des guicheliers, ma femme n'est-elle donc pas venue aujourd'hui ?

— Elle est venue, mais on l'a renvoyée,

— Et pourquoi cela, je'te prie? n'esl-il pas convenu qu'on me la laissera voir deux fois par seminine?

— 1l y a tant de choses dont on convient tent pas!

— Qu'entends-lu par ces paroles? Ah! oui, j'y suis. je comprends. Le fait est que je suis en relard ei dans mon tort. Eh bien! Jean, fais-moi le plaisir de me laisser de- main communiquer avec ma femme, et, foi d'assassin et de voleur, je te remellrai l'arriéré.

— C'est bon, on y réfiéchira, répondit le porte-clés d’une voix moins dure, el'en se dirigeant vers la porte.

— Ah à propos, mon cher Jean, reprit vivement Pam- pin en Le rappelant, as-lu eu la bonté de songer à ma re- cammandation, au sujet de la salade d'aujourd'hui ?

— Quelle recommandation ? répéta le porte-clés avec im- patience.

— Mais celle de ne l'assaisonner qu'avec de l'huile et du sel, saus vinaigre, J'ai encore été repris ce malin de mes crampes d'estomac. Définitivement les acides me sont con- lraires.

— Tu n'auras pas, en ce cas, à Le plaindre aujourd'hni, dit le porte-clés en s’en allant. J'ai mis plus d’une demi- livre d'huile de première qualité.

— Bien obligé, Jean, Tu n'oublieras pas de marquer ce supplément sur mon compte,

— Ne crains rien, c'est fait, répondit l'aide-geôlier, qui referma la porte de notre cachot el s'en fut avec ses compa- gnous. ‘

— Camarade, me dit alors Pampin, je ne l'invilerai pas à prendre une chaise et à l'asseoir à table, seulement je l'a- vertis que si lu lardes tant soit peu à manger la pitance, lArgeufier Le la dévorera. Je ne connais pas un gourmand de la force de garçon-là,


qui ne s'exécu-


VI

A cette invitation, — ai-je besoin de le dire au lecteur, — non cœur se souleva de dégoût, Cependant, conne il ÿ avait quarante heures que j'étais à jeun, je n’osai refuser, et je m'approchai à lâlons et presque eu rampant de l’en- droit où se trouvait notre souper, Ma répugnance n’échappa point au perspicace Pampin : !

— Je conçois, camarade, me dit-il, que tü n'aies pas graude envie de plonger ton bras daus cé baquet commun pour aller y chercher un détestable morceau de viande. Ne te désole pas à l'avance; nous autres habitués des prisons, nous possédons Gerlaines pelites ressources que les politi- ques n'ont pas. ; -

A peine ces mots élaient-ils prononcés se fit entendre à mes côtés; je vis une gerbe de brillantes étincelles se détacher sur le fond noir du cachot : c'était Pawpin qui battait le briquet, Peu après une lampe, retirée de je ne sais quelle cachette tuystérieuse, puisque les gui chetiers achevaient à peine de faire la visile de notre cab: non, élait allumée, et nous écluirait de ses pâles rayons:

— Dela lumière! mn je avec une joie d'enfant.

— Plus un jambon, du veau froid et une bouteille rem- plie d'eau filtrée et d'eau-de-vie, ajouta Pampin, en plaçant devant lui les divers objets que je viens de mentionner.


quan Léger brait