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MONSIEUR JAÇQUES.


A celle question le commissaire du salut public me reg en souriant el en haussant les épaules de pitié, comme pour me dire : Vraiment ces gens de pravince ne sont pas forts! Puis, sans daigner répondre, il se dirigea vers la porte de sortie, Mon cœur batlit avec violence, encore quelques pas et j'étais libre. Hélas! ma destinée était écrite; elle devait s'accomplir! Le vice-président, qui n'avait pas perdu un seul geste de celle pantomime, s’élança vers le commissaire du salut public el se plaçant entre la porte et lui :

— Giloyen, je l'en conjure, réponds-moi, lui dit-il en proie à une agilalion extrême. Ai-je done, en arrêtant cet oflcier, munqué involontairement (de respect à un ami de l'illustre et de l'incorruptible Robespierre ? Jamais je ne me consolerais de cette méprise; parle, je t'en suppli

— Comment! lu as fais arrêter cel officier? répéta le commissaire avec un élonnement de mauvais augure pour moi.

— Hélas! oui, et je l'interrogeais lorsque lu es venu,

— Ah! tu l'interrogenis?..…. Et répondait-il ?

— Il me montrail ses papiers qui sont en règle et prou- vent qu'il appartient à l'armée d'opération du Piémont.

A celle réponse du vice-président, la contenance du jeune délégué révolutionaire changea du tout au tout; son sourire disparut pour faire place à un air grave el sévère; ses sour- cils se contractèrent d'une façon menaçañle, et, d'une voix saccadée ef hautaine :

— Voyons les papiers? me dit-il brusquement.

J'étais perdu ! il ne me restait plus, mon audace n'ayant pas réussi, qu'à me soumellre avec résignalion à mon mal- heureux sort, Je m'empressai d'obéir.


Le commissaire du salut public examina avec la plus grande attention ma feuille de route, puis, se relournant eusuite vers le vice-président :

— Giloyen, lui dit-il, tu réponds sur ta tête de cet espion!

— Quoi! cet officier n’est donc pas alors un commissaire au gouvernement?

— Ce misérable est, je te le répète, un espion, un émis- saire de l'étranger, un royaliste, un fédéraliste, un agent de

Angleterre, peut-être même un prêtre non assermenté, où bien encore un ci-devant, un arislocrate !

A mesure que le commissaire avançait daus celte nomen- clature, le vice-président s'éloignait de moi avec horreur,

— Citoyen, dis-je tranquillement à mon ancienne connai sance de Saint-Cuuat, tous ces crimes dont tu m'accuses réduisent pour moi à un seul tort : à celui de l'avoir pris pout un garçon d'esprit et d'avoir plaisanté avec toi. Au reste, si lu veux être juste, consulle La mémoire, et Lu verras que jamais je ne me Suis préseulé comme étant un commis- suire. du gouvernement. Au contraire, j'ai toujours refusé d'accepter ce litre de collègue que tu lobslinais à me donner.

— Oui, afin de me confirmer encore davantage dans mon erreur. Ah! tu te figures comme cela je l'on peut se mo- quer impunément d'un commissaire du salut public, lui prendre son souper, canser avec lui sur le pied de l'égalité, conspirer contre. la Républi : È

— Ici je L'arrète! m'écriai-je. Je crois que si ja république en France est possible, — el je ne te ca pas je commence à en douter, — elle n’existera qu'à la con- ition d'être éminemment honnête et vertueuse! Ceux qui conspirent contre elle, ce sont les hommes qui se servent de son nom pour assouvir leurs basses el viles passions ; qui se couvrent de sou mautgau pour salisfaire leurs vengeances

ersounelles ; qui crient bien haut liberté, tout en faisant incarcérer leurs ennemis; égalité, en exigeant que chacun se courbe et s'incline devant leur pouvoir: frateraité, en en- nt à l'échafaud ceux dont les vertus ou les talents sont ire vivante de leur immoralité ou de leur nullité1.… — Tais-toi, misérable! s’écria le commissaire du salut ublic en m'interrowpant avec çolère. Tais-loi, ou je te fais Eäilonner! É L -

— Soit, lui dis-je, je me tnirai, mais au moins n’afecte

donc vas de me faire arrêter parce que je conspire | Avoue-


rda


oi Lout simplement que tu m'en veux du rôle ridicule que je lai fait jouer involontairement et que tu te venges.…

Mon ex-collègue de Baint-Cunat ne jugea pas à propos de me répondre, el s’en fut après avoir recommandé de nou- veau au vice-président de veiller à ma sûreté,

Un quart d'heure plus lard, la même troupe révolution- naire qui avait arrêté me conduisit à Ja muison de réclu- sion,

Mon élonnement fut extrême d'apercevoir, stalionnant à la porte de celte triste demeure, trois berlines toutes attelées et prêtes à partir,

— À qui donc sont destinées ces voitures ? demanda guichetier qui me reçut,

— Que l'import! me répondit-il brutalement. Allons, marche! :

— Où me conduisez-vous? repris-je doucement. Je vous avertis que je possède quelque argent et que je préfère payer à me trouver dans la salle commune. :

Le geôlier sembla hésiter, puis dissimulant assez mal un méchant sourire : 2

— C'est bon, dit-il, donne-moi un éeu et tu auras ta chambre !

En effet, un des porte-elefs qui nous accompagnait ouvrit une porte basse el élroile, el me poussant par les épaules dans une espèce de niche froccupée, tira les verroux der- rière lui et me laissa seul Jivré à mes tristes réflexions,

me serait üppossible de aire Se D LS au lecteur l'impression profonde que me causa le bruit de la porte du cachot se reférmant sur moi : il we sembla que je n'appai tenais plus au monde, que je venais d'entrer dans l'an chambre de l'éternité,

Au reste, mes réflexions nç furent A peine y avait-il une demi-heure d'écoulée, qu grinça daus la serrure et que je vis apparaître le gi ;

— Allons, debout et en route, me dit-il d’une voix fa- rouche. Le convoi va partir.

— Quel convoi ? lui demandai-je avec inquiétude, tout en lessuivant à travers un long et sombre corridor,

-Le guichetier, comprenant sans doute à l'allération de ma voix l'importance que j'attachais à recevoir une réponse, ne manqua pas de garder le silence,

— Mais, continuai-je en insistant, vons me parlez du dé- part d’un convoi, cela ne me concerne en rien! Ne dois-je pas rester ici? Ne m'avez-vous pas fait payer un écu pour la location de ee que vous appelez ma chambre?

— Quest-ce “qui Le l'a demandé, ton écu? Personne, Tu me l'as donné el je l'ai pris, voilà out! Allons, marche plus vite, et tais- Loi.

Voyant que je n'avais rien à attendre de la complaisance ou de l'humanité de ce geôlier, je gardai le silence.

Peu après, nous arrivames à la porle extérieure de la prison. ,

Je ne puis exprimer, quoiqu’une heure ne se fül pas’en- core écoulée depuis que j'étais séquesiré du monde, la joie que je ressentis en revoyant le soleil; il me semblait que je sortais d'une longue caplivité.

Ma joie fut, au reste, de courte durée : le commissaire du salut public, que je surpris occupé à m'examiner d'un air sardouique, me rappela au sentiment de Ja réalité.

À peine 'eusje mis le pied dans la rue, que deux. gen- darwes, se délachant de l'escorte qui entourait les voitures dont j'ai déjà parlé, me saisirent brutalement, l'un par le collet, l'autre par le revers de mon uniforme, et me jetèrent, plutot qu'ils m'aidèrent à monter, dans l'une des trois ber= lines; au même moment, les fouets des postillons claquèrant dans les airs, et ma prison roulante s'ébranla, emportée par l'élan des chevaux. ou FD

J'étais tellement ahuri, si stupéfait; ce départ avait eu lieu avec tant de promptitude, que la voiture avait déjà fran- chi une partie de la ville avant que la pensée me vint de re- garder autour de moi pour savoir quels étaient mes COmpa- gnons d'infortune, dose ES

L'intérieur de la voiture contenait trois Prisonniers, et

je au”