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— C’est une promesse que je tiendrai ! Seulement, permets-moi de t’adresser une question. Comment se fait-il que parmi les nombreuses personnes qui ont dû pénétrer dans ce mystérieux réduit, pas une seule ne t’aie encore dénoncé ?

— Voilà que tu redeviens naïf aujourd’hui, comme j’aurais voulu te voir hier, me répondit Pistache en haussant les épaules. Quoi, tu ne comprends pas que mon boudoir a toujours servi d’antichambre à l’échafaud ! Or, je ne connais pas de confident plus discret que la guillotine !

— Ainsi, mademoiselle de R***, m’écriai-je…

— Parbleu, si elle fût restée ici hier au soir, demain elle eût été guillotinée avec son père, me répondit froidement Pistache sans me laisser achever ma phrase. Voilà que tu pâlis… Enfant, tu ne seras jamais qu’un obscur et triste révolutionnaire !…

— Révolutionnaire, moi ! répétai-je avec force. Jamais ! Mais, tiens, Pistache nous ne pouvons continuer à nous voir !… L’horreur que me cause ton cynisme est tellement violente, qu’elle l’emporte sur ma prudence ! Je veux enfin que tu saches ce que je pense de toi !

— C’est inutile, s’écria Pistache en m’interrompant, ces scrupules d’enfant ne feraient guère d’impression sur moi et ne changeraient ni ma manière de voir ni d’agir ! Que veux-tu ? tu prends la révolution au sérieux et tu ne comprends pas le parti que l’on peut tirer d’un patriotisme intelligent… Nous n’arriverions donc jamais à nous entendre… Je te plains plus que je ne te hais, et comme me venger de toi me donnerait plus de mal que cela ne me rapporterait de plaisir, tu n’as rien à craindre de ma colère… laisse-moi tranquille et va-t’en.


XIV

Ce ne fut pas sans regret que, le jour du départ arrivé, je quittai Avignon, non pas que le séjour de cette ville présentât rien de bien agréable ; loin de là ; mais l’hospitalité du brave M. Marcotte était si douce, sa maison si bien tenue, sa fille Clotilde si charmante, qu’en présence de l’inconnu qui m’attendait, je ne pus m’empêcher de ressentir un assez vif sentiment de tristesse.

Le jour où nous quittâmes Avignon, il était question d’une nouvelle réquisition de manteaux pour les troupes ; aussi laissâmes-nous, quoiqu’il fît un froid violent, les habitants vêtus en été : tous avaient caché leurs habits d’hiver.

Je ne mentionnerai que pour souvenir nos premières étapes, car je ne trouve, en dépouillant les notes de mon carnet, que la répétition fastidieuse des mêmes ennuis et des mêmes banalités : de la boue, de la neige, de mauvais lits, et des repas problématiques. Anselme tournait à la mélancolie.

Partis d’Avignon le 16 nivôse, nous nous arrêtâmes le 17 à Cavaillon, le 18 à Orgon, le 19 à Lambesc, le 20 à Aix, le 21 à Marathon (jadis Saint-Maximin) ; le 23 à Brignolles et le 24 à Draguignan.

Dans cette dernière ville, la municipalité nous logea, Anselme et moi, chez un pauvre chanoine infirme qui se mourait.

Ne voulant pas troubler ses derniers moments, nous nous rendîmes à l’hôtel, où, grâce au détestable souper que l’on nous servit, je fus assez gravement indisposé pendant la nuit pour ne pouvoir, le lendemain matin, me remettre en route avec le bataillon.

Anselme, en me quittant, me promit de s’occuper de mon logement, et je restai au lit jusque vers midi.

Grâce à quelques heures de repos qui me rétablirent tout à fait, je montai à cheval vers les deux heures : en hâtant un peu le pas de ma monture, je devais rejoindre le bataillon avant la fin du jour.

Un peu avant d’atteindre Fayence, j’aperçus Anselme qui m’attendait tranquillement campé, dans la neige, au milieu de la route.

— Vraiment, cher ami, me dit-il, nous n’avons pas de chance ! Hier la municipalité nous logeait chez un mourant, aujourd’hui elle nous envoie chez un mort !

— Comment cela, Anselme ?

— Mais cela est comme je te dis ! Notre billet de logement nous désigne une maison où un vieil homme vient de mourir… Toute la famille est dans les larmes ! Je pense qu’on ne soupera pas. Si tu veux m’en croire nous irons à l’hôtel.

— Je ne demande pas mieux ; seulement, je dois t’avertir que ma bourse est à peu près à sec. As-tu de l’argent, toi ?

— Moi, de l’argent ! Je n’ai jamais eu en fait d’or, dans ma vie, que les louis qui me fureur donnés par l’ex-huissier de Montélimar !

— Et naturellement tu les as mangés depuis longtemps ?

— Oui, fort naturellement ! Allons, il faut savoir se résigner à son sort. Va pour la maison mortuaire !

— Il le faut bien, mon pauvre Anselme ! Après tout, une nuit est bientôt passée !

— Oui, quand on vous laisse dormir !

— Et qui donc nous empêchera de dormir ?

— Ah ! oui, c’est vrai, j’ai oublié de t’avertir de la chose !… Eh bien ! il paraît, cher ami, que, depuis quatre jours que le défunt n’est plus, il s’obstine à revenir chaque nuit se promener dans les appartements de sa maison. Les domestiques ont juré qu’ils l’avaient vu de leurs propres yeux ! Quant à la maîtresse de la maison, vieille fille de cinquante ans, la sœur du défunt, elle est à moitié morte de peur, et elle à fait tout ce qu’elle a pu pour me retenir…

— Il fallait, Anselme, stipuler comme condition à ta condescendance à ce désir, qu’on te servirait un magnifique souper !

— Ma foi, tu as raison ! J’ai manqué, je l’avoue, de présence d’esprit ! Mais cela peut s’arranger très-bien encore ! Crois-tu aux revenants, Alexis ?

En voyant le sérieux avec lequel mon camarade m’adressa cette question, je ne pus retenir un fou-rire.

— Pourquoi cette gaieté ! continua-t-il sur le même ton. Est-ce donc ma demande qui en est la cause ? Tu aurais tort ! J’ai connu, moi, beaucoup de gens fort instruits, qui admettaient la possibilité des apparitions…

— Et toi, Anselme, qu’en dis-tu ?

— Moi ! je suis dans le doute.

— Alors, c’est la peur des revenants qui te faisait désirer d’aller coucher à l’hôtel.

— Du tout, Alexis, au contraire ! J’ai toujours eu une furieuse envie de me trouver face à face avec un fantôme pour savoir si j’aurais peur.

— Eh bien ! voilà une excellente occasion qui se présente pour accomplir ton désir.

— Le fait est qu’en y réfléchissant, j’avais bien tort de me plaindre tout à l’heure ! Oui, notre séjour ici peut être fort agréable… Allons !

Après avoir fait environ cinq cents pas, Anselme s’arrêta devant une assez jolie maison, isolée du reste du bourg.

— C’est ici, me dit-il.

Je sonnai aussitôt et peu après une vieille domestique vint nous ouvrir la porte ; en apercevant Anselme, la servante poussa une exclamation de surprise.

— Quoi, c’est encore vous, citoyen ? lui dit-elle d’un ton plein d’aigreur et de reproches. Ne nous aviez-vous point manifesté l’intention de vous rendre à l’hôtel ?

— C’est vrai ! répondit mon camarade qui n’eut pas l’air