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avoir de sept à huit ans au plus. On les a mis en prison, et nous on nous permet de rester à jouer dans ce corridor pendant le jour !

— Moi, ma maman est bien bonne, s’écria une petite fille. N’est-ce pas, citoyen militaire, que tu ne la tueras pas avec ton sabre !

— Non, mon enfant, ne crains rien, lui répondis-je avec émotion, on ne fera pas de mal à ta chère maman.

— Oh ! que tu es bon, toi ! s’écria la pauvre enfant qui se jeta à mon col et m’embrassa en pleurant.

La vue de ces malheureux enfants me faisait mal ; je me hâtai de les quitter, et je redescendis dans la rue.

Quelques gardiens tentèrent bien de s’opposer à mon passage, mais la vue de mon uniforme et le nom de mon ami Pistache, que je prodiguai, levèrent tous les obstacles, et on me laissa sortir.

Je me promenais de long en large devant la prison, lorsqu’une voix tremblante et douce qui m’adressait la parole, me tira de mes tristes réflexions.

— Au nom du ciel ! monsieur, procurez-moi le moyen de voir mon père.

À cette prière, je tressaillis, car la voix qui la prononçait ne m’était pas inconnue ; et levant les yeux, j’aperçus devant moi, les mains jointes, les yeux noyés de larmes, la plus délicieuse personne que l’on puisse imaginer.

— Ah ! c’est vous, citoyenne ! n’écriai-je avec un profond étonnement en reconnaissant la jeune fille, qui, la veille, avait été insultée par la foule, à propos de la relique, et qu’Anselme avait sauvée…

— Vous, monsieur ! s’écria-t-elle de son côté. Ah ! c’est Dieu qui vous envoie ! Vous pouvez me rendre Le plus grand service… Ah ! pardon, dit-elle tout à coup en s’interrompant… j’oubliais que vous êtes l’ami du citoyen Pistache.

— Ce qui me vaut sans doute l’honneur, mademoiselle, de passer pour un bandit à vos yeux. Rassurez-vous. Je connais, en effet, le citoyen Pistache ; mais je ne partage ni ses opinions ni ses fureurs. Croyez donc que s’il est en mon pouvoir d’être à vous et aux vôtres de quelque utilité, je ne laisserai pas échapper cette occasion, car vous me semblez bien désolée !

— Ah ! monsieur, si vous saviez ! Mais tenez, la joie que me cause cet espoir que vous me donnez m’empêche de m’expliquer.

En effet, la jeune fille, suffoquée par ses pleurs, fut obligée de garder pendant un moment le silence.

Bientôt, essuyant ses yeux, elle reprit :

— Monsieur, me dit-elle, la vie de mon père, la mienne par conséquent dépendent de la volonté du citoyen Pistache.

— Et que ne t’adresses-tu, citoyenne, à Pistache lui-même ? dit en ce moment une voix rude qui se fit entendre à nos côtés.

Je me retournai et je vis Pistache qui, d’un air sarcastique et haineux, fixait ardemment ses yeux sur la jeune fille.

— Ah ! c’est comme cela que tu fréquentes les aristocrates, me dit-il en riant d’une méchante façon ; je ne savais pas que tu possédais de si nobles connaissances… Cette citoyenne est probablement la grisette dont tu t’es montré si jaloux hier au soir ?

— Aujourd’hui est la première fois que j’ai l’honneur de voir mademoiselle ; je ne connais pas même son nom.

— Alors permets-moi de te présenter, me dit Pistache, en affectant de prendre l’air d’un homme du monde : mademoiselle Amélie R***, la fille du marquis de R***, l’un des hôtes actuels de la maison de détention dont nous sortons.

Quoique Pistache essayât de conserver un air calme et digne, la façon dont il me présenta la jeune fille du marquis de R*** décelait malgré lui la haine qui l’animait et la joie que lui inspirait cette rencontre.

— Mademoiselle, dis-je en m’inclinant devant l’adorable et craintive créature qui, depuis l’apparition de Pistache, semblait en proie à une terreur extrême, ne vous troublez pas ainsi, et rassurez-vous ! le citoyen membre du comité révolutionnaire est beaucoup plus compatissant au fond qu’il ne veut le laisser voir, et je ne doute nullement qu’il ne se fasse un plaisir de vous protéger dans votre malheur.

— Comment donc, s’écria Pistache en m’interrompant, c’est-à-dire que je suis tout à fait aux ordres de la citoyenne ! N’est-ce pas un bien grand honneur pour moi que la fille d’un ci-devant marquis veuille bien condescendre jusqu’à accepter mes services !… Au reste, la citoyenne doit savoir que depuis longtemps j’attends sa visite !… Elle n’a qu’à me fixer le jour et l’heure qui lui conviendront, et elle peut compter qu’elle me trouvera chez moi !… Toutefois je lui conseille de se presser, car, si je ne me trompe, c’est justement demain que le comité révolutionnaire doit s’occuper de terminer l’affaire du ci-devant marquis de R***.

— Ah ! citoyen, je vous en supplie, s’écria la jeune fille avec un élan parti du cœur, dites-moi s’il m’est permis de conserver quelque espoir ?… Je sais bien que mon pauvre père est innocent…

— Un ci-devant n’est jamais innocent ! dit durement Pistache en interrompant la jolie solliciteuse. Quant à ton père, personnellement, les charges les plus graves pèsent sur lui… Je doute qu’il sorte de cette accusation avec sa tête !…

À ces affreuses paroles, la jeune fille devint pâle comme une morte, et appuya sa main sur son cœur, dont je crus entendre les battements.

— Que faire ? que devenir, citoyen ? reprit-elle peu après d’une voix suppliante et en élevant sur Pistache des yeux noyés dans les larmes, et dont l’expression eût désarmé un tigre.

— Il fallait d’abord ne pas perdre autant de temps que tu l’as fait, lui répondit-il durement, et venir me trouver tout de suite. Au reste, je ne puis causer plus longtemps ici avec toi. Mes devoirs me réclament. Je serai ce soir chez moi de huit à dix heures. C’est une concession que je veux bien faire à ton malheur… Au moins, sois exacte.

Pendant que le citoyen Pistache parlait, je ne puis exprimer la fureur que je ressentais ; vingt fois je fus sur le point de me jeter sur lui et de le traiter comme il méritait de l’être ; la pensée seule que cette violence ne pouvait qu’aggraver la position du marquis de R*** me retint. Quant à sa charmante et malheureuse enfant, elle accepta avec une héroïque résignation l’insulte du misérable, et rien en elle, si ce n’est une vive rougeur qui colora un instant son pâle visage, ne trahit la poignante émotion qu’elle éprouvait.

— Eh bien, citoyenne, tu ne me réponds pas, lui dit Pistache, en me prenant par le bras et en se disposant à s’éloigner, faut-il que je t’attende demain ?

La jeune fille tressaillit ; puis, m’adressant un regard singulier et que je ne pus comprendre, d’une voix calme à mon grand étonnement, répondit en saluant Pistache :

— À ce soir huit heures, chez toi !

— Je le savais bien ! murmura le membre du comité révolutionnaire en haussant les épaules d’un air de mépris. Ah ! ces ex-grandes dames, elles se ressemblent et se valent toutes !

Je dus faire un violent effort sur moi-même pour parvenir à me composer une contenance et ne pas laisser voir à Pistache le dégoût qu’il m’inspirait ; car il était nécessaire, pour l’accomplissement d’un projet que je venais d’arrêter en moi-même, que le membre du comité révolutionnaire ne me prit pas en défiance et restât mon ami.