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mal, reprit la commère ; mais nous y voyons une désobéissance aux volontés du peuple, en même temps qu’un acte de superstition qu’on ne peut souffrir ! Que la citoyenne nous apprenne quel est le motif qui l’a poussée à agir comme elle l’a fait ; puis qu’elle foule cette relique à ses pieds, et nous la laisserons tranquille.

— J’ai ramassé cette relique pour la soustraire aux outrages de la foule, répondit la jeune fille en élevant la voix ; quant à commettre le sacrilége que l’on me demande… j’aimerais mieux mourir !

Il y avait une telle dignité dans le ton de cette réponse, que je me sentis tout attendri.

— Allons ! s’écria Anselme, voilà bien du temps de perdu pour une bagatelle, les danses commencent, qui me donne la main ?

En effet, des rondes bruyantes venaient de se former autour de la place, à la lueur du bûcher en flamme.

Anselme saisit les deux harpies qui semblaient les plus acharnées après la jeune fille et les faisant tournoyer avec une force irrésistible, il organisa une ronde en vingt fois moins de temps certes que je n’en mets ici à raconter le fait.

— Mademoiselle, dis-je alors à la jeune fille qui avait si courageusement sauvé la relique au prix de sa vie, voulez-vous me permettre de vous escorter jusqu’à la porte de votre maison ; car, par le temps d’orgie qui court ce soir, il serait imprudent à vous de traverser seule la ville.

— Merci, monsieur, me répondit-elle en rougissant ; j’ai avec moi un compagnon.

La jeune fille me désigna alors l’homme à la carmagnole crasseuse et à l’air comme il faut, que nous avions vu prendre sa défense, et qui, sur un signe qu’elle lui fit alors, s’empressa de s’approcher et lui offrit son bras.

J’allais m’éloigner en voyant que la jolie enfant n’avait pas besoin de moi, lorsque tout à coup son compagnon poussa une exclamation de terreur, et laissant retomber son bras, qu’il tenait déjà, il parut vouloir prendre la fuite.

Regardant devant moi pour savoir quelle pouvait être la cause de cet effroi si subit, j’aperçus le héros de la fête, mon ami Pistache-Carotte, qui se dirigeait de notre côté.

— Ah ! voici le grand patriote Pistache qui vient recevoir nos compliments, dis-je à la jeune personne et à l’homme à la carmagnole.

— Est-ce que vous connaissez ce monstre, monsieur ? me demanda vivement ce dernier.

— Très-peu, mais je le connais. Et tenez, le voici qui m’a reconnu et qui me fait signe de l’attendre.

— Allons-nous-en, mademoiselle, je vous en conjure ! s’écria l’inconnu en se retournant vers la jeune personne qui semblait, combattue probablement par des intérêts opposés et que je ne connaissais pas, indécise sur le parti qu’elle devait prendre.

— Ne vaudrait-il pas mieux lui parler ? répondit-elle à son compagnon. Vous savez quelle est l’autorité dont il jouit, peut-être pourrait-il…

— Ajouter un crime à une injustice !… Non, Amélie, je vous en supplie, n’implorez point la générosité de ce misérable, il n’a ni cœur, ni entrailles. Sauvons-nous plutôt avant qu’il ne me reconnaisse…

— Ah ! mon pauvre ami, s’écria alors la jeune fille, pardonnez-moi, mais dans mon égoïsme je ne pensais plus aux dangers qui vous menacent !… Fuyons…

— Il est trop tard ! dit l’homme, le voici !

— Si vous avez un si grand intérêt à n’être point vu, partez, monsieur, lui dis-je vivement. Je me charge de retenir le citoyen Pistache et de l’empêcher de vous suivre.

— L’inconnu, n’ayant pas le temps de me répondre, se contenta de me remercier par un regard, et prenant la jeune fille par le bras, il s’éloigna presque en courant.

— Eh ! la belle, est-ce moi qui vous fais fuir ainsi ? s’écria