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plus calme, assista impassible, du moins en apparence, à toute cette démence populaire ; une seule fois il me parut sur le point de sortir de son sang-froid, ce fut en voyant jeter dans le brasier ardent une statue dorée de saint Dominique.

Près de moi, se trouvait une vieille femme qui ne cessa, pendant tout le temps que dura ce long sacrilége, de pousser des cris de joie.

— Bravo ! brûle, saint Pierre ! brûle, saint Jacques ! etc., etc., — disait-elle en frappant joyeusement ses mains les unes contre les autres, à mesure que l’un des saints qu’elle désignait était atteint par la flamme.

— Vous en voulez donc bien aux saints, citoyenne ? lui demandai-je.

— Moi, citoyen, me répondit-elle en accompagnant ces paroles d’un regard haineux, je voudrais voir pendre tous les prêtres…

— Avez-vous donc jamais eu à vous plaindre d’eux ?

— Pardi ! Ne m’ont-ils pas, dans le temps, retiré la pratique de plusieurs églises… car je suis blanchisseuse… sous le prétexte que je volais une partie du linge que l’on me confiait… Aussi, que l’on vienne me parler de religion !…

— Savez-vous quelle est cette femme ? demandai-je quelques instants après à un bourgeois d’une apparence honnête et paisible, qui vint se placer à mes côtés, en lui désignant la blanchisseuse qui détestait tellement le clergé.

— Oui, citoyen, me répondit-il, je la connais d’autant mieux que je l’ai employée pendant assez longtemps.

— Est-ce une honnête femme !

— Je n’en connais pas, au contraire, de plus voleuse ! me répondit-il en baissant la voix ; j’ai été obligé de la renvoyer.

— Pardi, c’est toujours la même histoire, me dit Anselme. Quand des patriotes crient trop fort, on peut être certain qu’ils ont une vengeance à exercer ou bien une infamie à cacher : les vrais et honnêtes républicains comme toi et moi se taisent !

Nous allions nous retirer, lorsque le bruit produit par une dispute qui avait lieu près de nous, attira notre attention à Anselme et à moi.

— Allons donc voir ce qui se passe là ! me dit-il.

— C’était une jeune fille, pauvrement vêtue, mais d’une grande beauté, qui, pâle comme une morte, et tellement émue qu’elle ne pouvait parler, était en butte aux menaces de quelques mégères. Un homme d’un extérieur assez comme il faut, quoiqu’il fût revêtu d’une carmagnole crasseuse, prenait sa défense avec plus d’ardeur que de succès lorsque nous arrivâmes.

— Hé ! silence, les commères ! s’écria Anselme d’une voix qui domina le bruit de la dispute, ainsi que le fracas du canon l’emporte sur le pétillement de la fusillade. Silence ! et expliquons-nous doucement ! Pourquoi vous acharnez-vous toutes ainsi après cette jeunesse ? Voyons, qu’avez-vous à lui reprocher ? qu’a-t-elle fait ?

— Ce qu’elle a fait, s’écria une des mégères, elle a soustrait un de ces hochets d’église dont les bons patriotes font justice en ce moment.

— Est-ce vrai, citoyenne ? demanda Anselme à la jeune fille.

— Oui, citoyen, répondit-elle d’une voix presque inintelligible, c’est vrai !

— Cet objet a-t-il une certaine valeur ?

— Le voici, dit la pauvre enfant qui nous montra une petite relique.

— Mais cela ne vaut pas cinq sous ! s’écria Anselme en se retournant vers les commères. Quel mal y a-t-il à ce que la citoyenne se soit emparée de ce chiffon ?

— Nous ne prétendons pas que cette action constitue un