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massif de corps, mais très-délié d’esprit. Cet émissaire des Anglais a trouvé le moyen de se glisser dans le comité de surveillance pour entraver la marche des troupes qui se portent sur Toulon. Il ne recule devant aucun moyen pour obtenir ce résultat.

« Ce matin il est venu poser le scellé sur nos armes et nos personnes ; et comme, lorsque nous avons entendu battre la générale, nous avons brisé la porte pour pouvoir nous rendre là où nous appelait le devoir et l’honneur, il est accouru et nous a menacés. Cet agent se nomme Saint-Pierre, et est ex-secrétaire du subdélégué. Aujourd’hui il a pris, pour se déguiser, afin de pouvoir accomplir ses forfaits dans l’ombre, la carmagnole, le bonnet rouge et le nom d’Olivier. Représentants, veillez sur ces ennemis de l’intérieur !

« Quant à nous, d’après ce que nous avons appris par plusieurs de nos camarades, nous ne doutons plus que ce genre de délit, dont, sans notre zèle pour le devoir, et sans notre énergie, nous aurions été victimes, nous ne doutons plus, disons-nous, que ce délit ne se répète sur tous les points de la France ! Si vous n’y prenez garde, les agens de l’étranger, soit au moyen du scellé, soit autrement, arrêteront dans leur patriotique élan les troupes de la République ! Tel est le but où tendent leurs criminels efforts.

« Voilà, citoyens représentants, l’exposé simple et naïf des faits dont nous avons à nous plaindre. Les militaires n’ont d’éloquence que par la bouche de leurs fusils ! Comptez, citoyens représentants, que nous sommes disposés à tuer et à nous faire tuer pour la République, la Convention et le Comité de salut public ! »

L’admirable rédaction de cette pièce faite, je l’ai déjà dit, à haute voix, me parut impressionner assez vivement le membre du comité de surveillance. Cependant il cacha du mieux qu’il put ses craintes, et voulant nous rendre la monnaie de notre pièce, il nous lut à son tour, avec une grande emphase, le procès-verbal qu’il venait de terminer.

— À présent que vous avez fini votre dénonciation, citoyens, nous dit-il, j’espère que vous voudrez bien me suivre auprès du comité ?

— Mais il nous reste encore une lettre à faire, lui répondis-je, la lettre d’envoi.

Reprenant aussitôt la plume, je me mis à rire en les écrivant, ces terribles paroles : « Citoyen représentant et cher cousin, je viens par celle-ci te prier, etc., etc. »

À cet imposant début épistolaire, l’ex-secrétaire du subdélégué perdit le semblant d’assurance qu’il était parvenu à conserver jusqu’alors, et prenant à part notre hôte, il se mit à lui parler avec une grande vivacité.

— Mes chers amis, nous dit le greffier en revenant bientôt près de nous, le citoyen vient de m’avouer en confidence qu’il croit s’être grossièrement mépris à votre égard, et qu’il vous reconnaît comme étant d’excellents patriotes. Ne voudriez-vous pas déchirer votre correspondance ? Quant à lui, il est prêt à annuler son procès-verbal.

— Je suis fâché pour le citoyen du comité de surveillance, répondit Anselme, de l’imprudence et de la légèreté qu’il a montrées dans toute cette affaire-ci ; mais vous devez comprendre que, quelque envie que nous ayons de reconnaître votre gracieuse hospitalité, nous ne pouvons cependant pas manquer, pour vous être agréables, à nos devoirs.

Enfin, après bien des supplications directes, cette fois, du membre du comité de surveillance, Anselme feignit de se laisser attendrir et consentit à jeter au feu et notre dénonciation à la Convention et la lettre adressée à mon cousin.

— Seulement, ajouta-t-il en s’adressant d’un air froid et piqué à notre hôte, après l’insulte que nous avons subie dans votre maison, nous ne pouvons plus rester chez vous ! Nous ne demeurerons ici que le temps strictement nécessaire pour faire notre sac.

Le membre du comité de surveillance eut beau vouloir nous démontrer qu’il n’y avait eu dans toute cette affaire qu’un simple quiproquo, que notre honneur m’avait eu rien à souffrir, que notre hôte, — puisque ce n’était pas lui qui nous avait fait coucher dans le cabinet, — n’était pas coupable, nous n’en restâmes pas moins inexorables dans notre résolution de partir, car il fallait à tout prix éloigner de notre hôte et de nous toute idée de connivence.

— Eh bien ! mon cher monsieur ! dit Anselme à ce dernier, une fois que le membre du comité de surveillance nous eut quittés, que pensez-vous de la comédie ? J’espère qu’elle a été bien jouée ? Ma foi, j’ai vu un moment où je n’aurais pas donné un assignat de trois livres de votre tête ! À présent vous voilà tout à fait hors de danger ! Tachez de ne plus vous remettre dans une position semblable à celle-ci, car vraiment il fallait cette circonstance exceptionnelle de deux hommes d’esprit aux prises avec un sot, pour vous sauver. Or, le contraire se voit bien plus souvent.

Je ne rapporterai pas les bénédictions sans nombre dont nous combla notre hôte ; elles redoublèrent le plaisir que nous éprouvions de lui avoir été utiles, en nous montrant que nous n’avions pas obligé un ingrat.

Toutefois, malgré les instances qu’il fit pour nous retenir, nous nous obstinâmes, avec raison, dans notre résolution de quitter de suite sa maison. Il était urgent, je le répète, de bien prouver qu’entre l’ex-greffier et nous, il n’existait aucune intimité.

Avant de prendre définitivement congé de lui, nous lui conseillâmes aussi d’aller revoir le membre du comité pour lui dire qu’il avait obtenu de nous, par ses obsessions, la promesse formelle que nous ne reprendrions plus jamais cette affaire ; mais que malgré toutes ses excuses nous avions pris congé de lui très-froidement, et qu’il avait bien vu que nous lui gardions rancune pour le dérangement désagréable et involontaire qu’il nous avait causé.

Notre hôte nous remercia avec effusion de ce conseil, nous promit de le suivre et nous accompagna avec toute sa famille jusqu’à la porte. Ce fut les yeux pleins de larmes qu’il nous souhaita toutes sortes de bonheurs et qu’il nous jura que sa reconnaissance pour nous durerait autant que sa vie.

— Drôle d’époque tout de même que la nôtre, me dit Anselme une fois que nous fûmes installés à l’hôtel, avec de l’impudence et de l’audace on vient à bout de tout ! Un mensonge audacieux suffit pour arracher une victime au bourreau, de même qu’un mot placé mal à propos fait tomber une tête ! Celui-là seul qui croit pouvoir compter sur son innocence, court des dangers.

Il faisait, le lendemain, à peine jour quand on battit la générale. Nous nous empressâmes de nous lever et nous fûmes nous réunir au bataillon.

Les rangs venaient d’être formés et nous allions nous mettre en marche, lorsque je fus accosté par une vieille femme que je reconnus pour la domestique de notre hôte de la veille, l’inoffensif greffier.

— Citoyen, me dit-elle, ma maîtresse craignant que vous ne manquiez de provisions en route, m’envoie vous apporter ces deux pots de confitures.

Pensant que ce serait un manque de savoir-vivre de refuser cet insignifiant cadeau, j’attachai les pots sur mon sac et je chargeai la domestique de présenter mes remercîments à sa maîtresse.

— Que diable portes-tu donc là ? me demanda, à notre première étape, une heure plus tard, Anselme qui était revenu me joindre.

— Ce sont des confitures.