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LES
ÉTAPES D’UN VOLONTAIRE
PREMIÈRE PARTIE
PAR PAUL DUPLESSIS.
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LE ROI DE CHEVRIÈRES

I

Lorsqu’on est dans un camp, qu’on ne dort, qu’on ne mange, qu’on ne boit et qu’on ne tue pas, on ne sait vraiment comment passer son temps.

Il me vint un jour à l’esprit, que, tandis que nous avions l’histoire de tous les généraux, personne n’avait encore songé à faire celle d’un soldat : je résolus de travailler à la mienne.

J’écris le sabre au côté, mon sac me sert de bureau, ma plume est affreusement mal taillée : j’ai droit à quelque indulgence.

Je suis né à Lusignan le 24 août 1768. Mon père, sans être ce que l’on appelle riche, jouissait néanmoins d’une fortune fort honnête et exerçait la charge de notaire. Il était excellent pour ma mère qui méritait bien cette bonté sous tous les rapports, économisait tous les ans le tiers de son revenu pour faire la dot de mes sœurs, et me destinait la survivance de sa charge.

Lorsqu’éclata, il y a trois ans, l’orage de 89, mon père, loin de partager la joie et les espérances que la vue d’un horizon nouveau éveillait en moi, se défit de sa charge et se retira à la campagne.

Ne recevant dans sa retraite qu’un nombre très-restreint d’amis intimes, il ne tarda pas à passer pour aristocrate ; Dieu sait, sans mon oncle le patriote, quelles eussent été pour lui les conséquences de cette réputation !

Mon oncle le patriote, que j’introduis ici si brusquement en scène, sans l’annoncer, avait été jusqu’en 89 un embarras pour sa famille ; incapable de suivre une ligne sensée de conduite, d’un esprit inquiet et versatile, il trouvait que la société avait besoin de grandes réformes ; aussi entra-t-il avec enthousiasme dans le mouvement révolutionnaire. Aujourd’hui, son nom protége la tranquillité de mon père, et nous vaut une complète sécurité.

Au reste, je dois m’empresser de déclarer que mon oncle est un fort excellent homme ; il n’a, à mes yeux, que les trois défauts d’être paresseux, envieux et bavard : à cela près, je ne vois pas trop ce que l’on pourrait lui reprocher, car, malgré son air tant soit peu farouche, accessoire obligé de sa profession actuelle, il ne manque ni de bonté, ni d’obligeance.

Parmi le nombre très-restreint d’amis que mon père recevait dans son intimité, se trouvait, et doit se trouver encore, un ancien procureur du roi, grand ennemi de la république et père d’une jeune personne charmante et accomplie.

Chaque jour le procureur et moi avions, au sujet de la politique, des discussions presque violentes, Quoique mon plus vif désir eût été, comme il l’est encore aujourd’hui, de