Page:Dumas - Paul Jones, 1838.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.

paul, continuant.

Ce n’est point ainsi qu’un prêtre t’eût parlé, mon père ; je t’ai parlé en marin, et avec une voix plus habituée à prononcer des paroles de mort que des mots de consolation : pardonne-moi !…

achard.

Tu m’as fait croire et prier comme toi ; qu’aurait fait de plus un prêtre ? (Il marche vers son lit, appuyé sur Paul) Ce que tu m’as dit est grand !… laisse-moi penser à ce que tu m’as dit. (Se mettant sur son lit.) Quand je me sentirai mourir, je t’appellerai.

paul, tirant les rideaux sur lui.

Et sois tranquille, je serai là.

Il s’assied sur une chaise au pied du lit, et reste un instant absorbé dans ses pensées ; tout-à-coup on entend au dehors le nom de Paul.
marguerite, du dehors.

Paul !

paul, levant vivement la tête.

Qui m’appelle ?

marguerite, près de la porte en dehors.

Paul !

paul, s’élançant vers la porte.

C’est sa voix ! (Il ouvre la porte et trouve Marguerite échevelée et agenouillée.) Qu’as-tu ? dis ?



Scène IV

MARGUERITE, PAUL.
marguerite, se traînant sur ses genoux.

À moi ! à moi !

paul, la relevant.

Que crains-tu ? qui te poursuit, et pourquoi viens-tu à cette heure ?

marguerite.

Oh ! à toute heure du jour et de la nuit j’aurais fui, tant que la terre aurait pu me porter, j’aurais fui jusqu’à ce que je trouvasse un cœur pour y pleurer, un bras pour me défendre ; j’aurais fui… Paul !… Paul !… (se jetant dans ses bras) mon père est mort !…

paul.

Pauvre enfant, qui s’échappe d’une maison mortuaire pour retomber dans une autre ! qui laisse la mort au château, et qui la retrouve dans la chaumière !

marguerite.

Oui, oui ; mais ici on meurt tranquille, et là-bas on meurt dans le désespoir ! Oh ! Paul, si vous aviez vu ce que j’ai vu !…

paul.

Dis-moi cela.

marguerite.

Vous savez quelle influence terrible ont eue sur mon père votre voix et votre présence ?

paul.

Oui.

marguerite.

On l’a emporté sans parole dans son appartement.

paul.

C’était à votre mère que je parlais ; c’est lui qui a entendu, ce n’est point ma faute.

marguerite.

Eh bien, je n’ai pas pu résister à mon inquiétude, et au risque d’irriter ma mère, je suis montée pour le voir ; la porte était fermée, je frappai doucement, et j’entendis sa voix affaiblie, qui demandait qui était là.

paul.

Et votre mère ?

marguerite.

Ma mère était absente, et l’avait enfermé en partant. Mais, lorsqu’il reconnut ma voix, lorsque je lui eus répondu que j’étais Marguerite, que j’étais sa fille, il me dit de prendre un escalier dérobé qui, par un cabinet, donnait dans sa chambre ; et une minute après, j’étais à genoux devant son lit, et il me donnait sa bénédiction avant de mourir, sa bénédiction paternelle, qui, je l’espère, appellera celle de Dieu !

paul.

Oui, sois tranquille ; pleure sur ton père, mon enfant, mais ne pleure plus sur toi, car tu es sauvée !

marguerite.

Mais en ce moment, Paul ! comme j’étais agenouillée, comme je baisais ses mains ; en ce moment, j’entendis les pas de ma mère ; elle montait l’escalier ; je reconnus sa voix, et mon père la reconnut aussi, car il m’embrassa une dernière fois et me fit signe de fuir : j’obéis ; mais j’avais la tête si perdue, si troublée que je me trompai de porte, et qu’au lieu de prendre l’escalier par lequel j’étais venue, je me trouvai dans un cabinet sans issue. Ma mère entra avec le prêtre, et, je vous le dis, elle était plus pâle que celui qui allait mourir.

paul.

Mon Dieu !

marguerite.

Le prêtre s’assit au chevet du lit ; ma mère se tint debout au pied. Paul, comprenez-vous ? j’étais là, ne pouvant pas fuir ; une fille forcée d’entendre la confession de son père ! n’est-ce pas affreux, dites ? Je tombai à genoux, fermant les yeux pour ne pas voir, priant pour ne pas entendre ; et cependant, malgré moi, je vis et j’entendis ; et ce que je vis et j’entendis ne sortira jamais de ma mémoire ! J’entendis mon père prononcer les mots d’adultère, de duel et d’assassinat ! et à chacun de ces mots, je vis ma mère plus pâle… haussant la voix pour couvrir la voix du mourant, et disant : Ne le croyez pas, ne le croyez pas, ne le croyez pas, mon père, c’est un fou, c’est un insensé… ne le croyez pas !… Paul, c’était un spectacle horrible, sacrilège, impie !… je sentis une sueur froide me passer sur le front, et je m’évanouis.