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la marquise, reculant à droite et le regardant avec effroi.

Est-ce un spectre !…

le marquis, se levant épouvanté.

Je connais cette voix, (apercevant Paul) je connais ce visage. (Marchant droit à Paul.) Morlaix !… Morlaix !… (S’égarant tout-à-fait, et répétant les dernières paroles de Morlaix.) Vos jours sont à moi, monsieur, et je pourrais les prendre ; mais je veux que vous viviez pour me pardonner comme je vous pardonne…

Il tombe dans le fauteuil ; Emmanuel le soutient.
marguerite, se précipitant sur son père.

Mon père !

laffeuille, accourant à la gauche de la marquise.

Madame, madame ! Achard fait demander le médecin et le prêtre du château ; il se meurt !

la marquise, regardant Paul avec effroi et montrant le marquis.

Faites répondre qu’ils sont occupés tous deux auprès du marquis.


fin du troisièmes acte.


ACTE QUATRIÈME.

L’appartement de Louis Achard, représentant les deux chambres séparées par une cloison ; dans la première chambre, à gauche de l’acteur, la porte d’entrée au fond ; une croisée figurée au premier plan, couverte par un grand rideau ; au milieu à droite, la porte de communication ; dans la deuxième chambre, un lit, au fond à droite, entouré de tentures vertes ; un crucifix d’ivoire au fond du lit ; une table au chevet, sur laquelle est une lampe allumée et une Bible sur un pupitre ; du même côté, une croisée, un grand fauteuil ; vis-à-vis, à gauche de la porte, une armoire. Il fait nuit.

Scène PREMIÈRE.

ACHARD, dans un fauteuil, LAFFEUILLE, à côté de lui.
laffeuille.

Avez-vous besoin d’autre chose, monsieur Achard ?

achard.

De rien.

laffeuille.

Voulez-vous que j’envoie quelqu’un près de vous ?

achard.

Un prêtre.

laffeuille.

Mais vous savez qu’à deux lieues à la ronde il n’y a que celui du château.

achard.

Alors, merci ; laissez-moi.

laffeuille.

Au revoir, monsieur Achard !

achard.

Adieu.

Laffeuille sort.



Scène II

ACHARD, seul.

Le prêtre et le médecin sont occupés près du marquis. Ainsi Dieu nous appelle en même temps pour rendre le même compte : c’est justice céleste !… Mais est-ce justice humaine de me laisser mourir sans secours et sans consolation, et ne pourrions-nous partager ?… Lui, qui craint la mort, garder le médecin ; et à moi, qui suis las de la vie, m’envoyer le prêtre ?… Mais le prêtre… le prêtre !… il aurait entendu la confession ; il aurait reçu les papiers ! et la marquise !… Oh ! c’est elle, c’est cette femme qui me fait une mort solitaire et désespérée comme ma vie !… Quelques paroles de paix auraient cependant fait descendre tant de tranquillité sur ma dernière heure !… et l’adieu d’une voix consolatrice eût rendu si facile le passage de cette existence à l’autre !… (Il renverse la tête.) Dieu ne le veut pas ; résignons-nous à la volonté de Dieu !



Scène III

ACHARD, PAUL, entrant vivement et arrivant près d’Achard.
paul.

Mon père !

achard.

Oh ! c’est toi ! je n’espérais plus te revoir.

paul.

Avez-vous pu penser que, dès que j’apprendrais votre état…

achard.

Mais je ne savais où te chercher, moi, où te faire dire…

paul.

J’étais au château : j’ai tout appris, et je suis accouru. Mais comment êtes-vous seul, ici, sans secours ?

achard.

Ils m’ont refusé un médecin, ils m’ont refusé un prêtre !

paul.

Je puis monter à cheval, et dans une heure…

achard.

Dans une heure il serait trop tard. D’ailleurs, je le sens, un médecin maintenant serait inutile, un prêtre seul…