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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

On suspendit un hamac dans une mosquée, et l’on y mit le pauvre malade.

Le troisième jour, le délire le prit ; le cinquième, il mourut en riant et en chantant, sans se douter qu’il mourait.

Tout le clergé grec de Constantinople vint chercher le corps du pauvre voyageur, qui était mort à vingt-huit ans, loin de ses amis, de sa famille, de son pays ! — à vingt-huit ans comprenez-vous ? Comparez cet âge avec ce qu’il a fait !

Le corps fut transporté à dos de dromadaire.

Là-bas, comme ici, tout le monde l’aimait. Des gens de tous les pays et de tous les costumes suivaient le cortège.

Tous les bâtiments français en rade portaient les vergues croisées et le pavillon de deuil.

L’ambassade tout entière vint le recevoir à la porte de Constantinople, et un cortège de plus de trois mille personnes l’accompagna jusqu’à l’église française.

C’est là qu’il est couché, endormi, comme Ophélia, dans son rire et dans sa chanson !

CCXXVII

Granville.

Sourire fin et moqueur, yeux pétillants d’esprit, bouche railleuse, petite taille, grand cœur, mélancolie charmante répandue sur tout cela ; — c’est vous, cher Granville ! Venez ! je commence à avoir autant d’amis sous terre que dessus ; venez ! dites-moi que l’amitié est plus forte que la tombe, et je ne craindrai plus de descendre où vous êtes, puisque, en mourant, on réjouit ses amis morts, sans quitter ses amis vivants.

Vous rappelez-vous, cher Granville, le temps où j’allais vous voir dans votre mansarde de la rue des Petits-Augustins, mansarde d’où je ne sortais jamais sans emporter de merveilleux croquis ? Que de bonnes et longues causeries ! que de fins aperçus ! — Je ne pensais pas à vous demander, alors, d’où vous veniez, ni où vous alliez ; vous souriiez tristement à la