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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

suffirait à peine pour achever ce qu’il a commencé, et lui n’a plus que quelques mois !

Au milieu de cette fièvre féconde, de cette agonie productive, il reçoit une lettre de Mannheim. La lettre est de sa sœur : son père est malade, et désire le voir. Il annonce son départ ; c’est en vain qu’on lui dit que, si gravement malade que soit son père, son père l’est moins que lui, que le vieillard a plus de jours à vivre que le jeune homme : il n’écoute rien ; son père l’a appelé, il ira !

Il part, reste trois mois absent de Paris, et revient dans les derniers jours de novembre. Son père est hors de danger : lui se meurt.

Le 7 décembre 1837, il expira avec ses dessins, ses gravures, ses vignettes commencées sur son lit, et les yeux fixés sur ses tableaux inachevés !

Le spectre venait de se taire. Alors, me retournant de son côté :

— Est-ce cela, frère ? lui demandai-je, et ai-je bien traduit tes propres paroles ?

Mais je ne vis plus qu’une blanche vapeur qui s’évanouissait, et je n’entendis plus qu’un faible soupir qui s’éteignait dans l’air en modulant le mot « Oui ! »

CCXXV

Clément Boulanger.

Le murmure éteint, l’ombre disparut. Une autre ombre sortit de terre, et s’avança silencieusement comme la première, mais d’un pas plus rapide. On sentait que, chez celle-là, la vie avait été en quelque sorte plus vivante, et que la mort avait tout à coup pris cette existence entre ses bras décharnés, sans s’annoncer longtemps à l’avance, comme elle l’avait fait pour ce pauvre Alfred.