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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

vint mettre le siège devant Hambourg ; Hambourg résolut de se défendre jusqu’à la dernière extrémité, et, en effet, sa défense est célèbre.

Alfred faillit y mourir d’une triple mort : d’un boulet, de la faim, du typhus ! Le boulet, un jour qu’il était sur le rempart, passa à deux pas de lui, et ce fût fini ; le boulet passé, il n’y avait plus de danger. Mais il n’en fut pas de même de la faim, et surtout du typhus ! La faim brisa son estomac, le typhus dessécha son sang : de là la pâleur de ses joues et la fièvre de ses yeux : il est mort en 1837 de la famine et de la contagion de 1813.

Toute la famille revint, comme nous l’avons dit, à Paris en 1818, et se fixa près de Charles. Celui-ci achevait alors une de ses meilleures gravures, le Trompette blessé, d’Horace Vernet.

Les pauvres gens étaient complètement ruinés. Il fallait que les enfants nourrissent à leur tour ceux qui les avaient nourris. Alfred se mit d’abord à faire des gravures de confiseurs, à enluminer des images de saints.

Cela dura sept ans.

Celui qui apportait la plus forte part à la masse commune, c’était Charles.

Il mourut en 1825, juste à l’âge où est mort Alfred, c’est-à-dire à trente-sept ans.

Dieu permit qu’à partir de ce moment, Alfred vît sa force s’accroître en raison du fardeau que le malheur lui donnait à porter.

Un frère jeune, des parents vieux, voilà la responsabilité que lui laissait la mort de son frère ! — Voilà une chose que le monde ne connaît pas assez, et que j’ai dite et que je répéterai sans cesse au monde, moi : c’est l’histoire de ces saintes luttes de l’amour filial contre la misère ! — Étrange existence que celle d’Alfred ! Il n’eut pas de jeunesse, et ne devait pas avoir de vieillesse. Ce pli de l’âge sérieux qui sillonne le front soucieux du penseur, la faim le creusa chez lui à treize ans, l’exil et la fatigue le continuèrent à dix-huit, la misère le reprit à vingt-cinq.