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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

les yeux et les lèvres de la jeunesse presque toujours souriants, — un jour, il copiait un Raphaël, lorsqu’il sentit une main se poser légèrement sur son épaule.

Il se retourna et demeura anéanti.

Au milieu d’un cercle d’officiers en habit militaire, de courtisans en habit de cour, il était seul avec un homme en habit d’uniforme très-simple.

La main que cet homme avait posée légèrement sur son épaule, quand cet homme l’appuyait sur une des extrémités de la terre, cet homme faisait pencher le monde du côté où il l’appuyait : cette main, c’était celle de Napoléon.

— Courage, mon ami ! lui dit une voix qui avait presque la douceur d’une voix de femme.

C’était la voix de l’empereur.

Puis l’homme merveilleux s’éloigna, laissant l’enfant pâle, muet, tremblant, presque sans haleine ; mais, en s’éloignant, il s’informa quel était cet enfant. Un secrétaire se détacha de la suite de l’empereur, vint à Alfred, et lui demanda son nom, le nom et la demeure de ses parents, puis rejoignit le groupe doré, qui disparaissait dans une salle voisine.

Quelques jours après, le père d’Alfred Johannot fut nommé inspecteur de la librairie à Hambourg, alors ville française. Toute la famille partit pour se rendre à sa destination. Alfred ne devait revoir Paris qu’en 1818.

Il ne devait jamais revoir l’empereur ; mais le souvenir de la scène que nous avons racontée était resté profondément gravé dans la mémoire de l’enfant. Je me rappelle qu’un soir, le soir où lui-même nous la dit, — c’était chez moi, — il prit une plume, du papier, et fit à l’encre un dessin de cette scène. Je n’ai jamais vu un plus beau Napoléon, plus digne, plus grand, plus doux, je dirai même plus paternel. Dans la pensée d’Alfred, l’empereur était resté, comme en 1810, beau, rayonnant, victorieux !

À défaut de bons maîtres, l’enfant trouva à Hambourg d’excellents graveurs ; c’est pour cela que, jeune homme, il préféra d’abord le burin au pinceau.

Il avait treize ans lors du désastre de l’Empire. L’ennemi