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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

tez-moi, dans cette langue des trépassés, avec ce doux murmure qui ressemble à celui du ruisseau caressant ses rives, avec ce doux bruit des feuilles frémissant dans la forêt, avec ce doux gémissement de la brise pleurant dans les roseaux, racontez-moi votre vie, vos douleurs, vos espérances, vos triomphes, et que ce monde, presque toujours indifférent quand il n’est pas ingrat, sache ce que vous étiez, et surtout ce que vous valiez !

CCXXV

Alfred Johannot.

Le premier qui vient à moi, parce que c’est le premier qui nous a quittés, est pâle et triste comme il l’était de son vivant. Il a les cheveux courts, le front bombé, le regard sombre et doux à la fois sous un sourcil épais, la moustache et la barbe d’un brun roussâtre, le visage long et mélancolique.

Il s’appelait Alfred Johannot, et il y a aujourd’hui seize ans qu’il est mort.

Viens, frère ! approche-toi ; c’est moi, c’est un ami qui t’évoque. Parle, raconte avec la parole des morts ta jeune et glorieuse vie, et, moi, je la redirai avec la parole des vivants.

Esprits de la nuit, éteignez jusqu’au frémissement de vos ailes de phalène, et que tout se taise, jusqu’à toi, silence nocturne, fils muet de l’obscurité ! Le mort parle tout bas, et, moi, je vais parler tout haut.

Nous l’avons tous vu, jeunes gens de vingt-cinq ans, hommes de quarante, vieillards de soixante et dix.

Il était bien tel que j’ai dit, n’est-ce pas ?

Maintenant, voici son histoire.

Il était né avec le siècle, en 1800 ; avec le printemps, le 21 mars ; il était né dans le grand-duché de Hesse, dans la petite ville d’Offenbach, sur les bords de cette charmante rivière aimée des pêcheurs et des ondines, qu’on appelle le Mein, qui prend sa source en Bavière, et qui va se jeter dans le Rhin en face de Mayence.