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— Cependant, justement à cause de l’effet que sa vue a produit sur vous, il faut savoir quelle est cette femme, Monseigneur.

— Certainement qu’il le faut, dit François.

— Cherchiez bien dans vos souvenirs, Monseigneur. Est-ce à la cour que vous l’avez vue ?

— Non, je ne crois pas.

— En France, en Navarre, en Flandre ?

— Non.

— C’est une Espagnole peut-être ?

— Je ne crois pas.

— Une Anglaise ? quelque dame de la reine Élisabeth ?

— Non, non, elle doit se rattacher à ma vie d’une façon plus intime ; je crois qu’elle m’est apparue dans quelque terrible circonstance.

— Alors vous la reconnaîtrez facilement, car, Dieu merci ! la vie de Monseigneur n’a pas vu beaucoup de ces circonstances dont Son Altesse parlait tout à l’heure.

— Tu trouves ? dit François avec un funèbre sourire.

Aurilly s’inclina.

— Vois-tu, dit le duc, maintenant je me sens assez maître de moi pour analyser mes sensations : cette femme est belle, mais belle à la façon d’une morte, belle comme une ombre, belle comme les figures qu’on voit dans les rêves ; aussi me semble-t-il que c’est dans un rêve que je l’ai vue ; et, continua le duc, j’ai fait deux ou trois rêves effrayants dans ma vie, et qui m’ont laissé comme un froid au cœur. Eh bien ! oui, j’en suis sûr maintenant, c’est dans un de ces rêves-là que j’ai vu la femme de là-haut.

— Monseigneur ! Monseigneur ! s’écria Aurilly, que Votre Altesse me permette de lui dire que, rarement, je l’ai entendue exprimer si douloureusement sa susceptibilité en matière de sommeil ; le cœur de Son Altesse est heureusement trempé de manière à lutter avec l’acier le plus dur, et les vivants n’y mordent pas plus que les ombres, j’es-