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De temps en temps cependant, comme pour faire tomber son orgueil, Sainte-Maline regardait à l’autre portière Loignac, que l’habitude des honneurs rendait indifférent à ces honneurs mêmes ; et alors trouvant que ce gentilhomme était plus beau avec sa mine calme et son maintien militairement modeste qu’il ne pouvait l’être, lui, avec tous ses airs de capitan, Sainte-Maline essayait de se modérer ; mais bientôt certaines pensées rendaient à sa vanité son féroce épanouissement.

— On me voit, on me regarde, disait-il, et l’on se demande : « Quel est cet heureux gentilhomme qui accompagne le roi ? »

Au train dont on allait et qui ne justifiait guère les appréhensions du roi, le bonheur de Sainte-Maline devait durer longtemps, car les chevaux d’Élisabeth, chargés de pesants harnais tout ouvrés d’argent et de passementeries, emprisonnés dans des traits pareils à ceux de l’arche de David, n’avançaient pas rapidement dans la direction de Vincennes.

Mais comme il s’enorgueillissait trop, quelque chose comme un avertissement d’en haut vint tempérer sa joie, quelque chose de triste par-dessus tout pour lui : il entendit le roi prononcer le nom d’Ernauton.

Deux ou trois fois, en deux ou trois minutes, le roi prononça ce nom. Il eût fallu à chaque fois voir Sainte-Maline se pencher pour saisir au vol cette intéressante énigme.

Mais, comme toutes les choses véritablement intéressantes, l’énigme demeurait interrompue par un incident ou par un bruit.

Le roi poussait quelque exclamation qui lui était arrachée par le chagrin d’avoir donné à certain endroit de son image un coup de ciseau hasardeux, ou bien par une injonction de se taire, adressée avec toute la tendresse possible à master Love, lequel jappait avec la prétention exagérée, mais visible, de faire autant de bruit qu’un dogue.